Lorsqu’en 1893 sort P’tit Bonhomme, dans la revue Le Magasin d’Education et de Récréation puis chez ce bon vieux Hazel, comme d’habitude, la réaction naturelle du lectorat amateur des Voyages extraordinaires ne sera qu’une immense déception, attitude qui perdure d’ailleurs injustement aujourd’hui en faisant de ce livre un des grands oubliés de l’œuvre de Julot.

C’est quoi cette foutue histoire d’orphelin Irlandais à la Dickens qui ne bouge même pas son petit fion de l’île et se promène de misère en misère comme le plus célèbre héros d’Hectot Malot ? Rendez-nous l’aventure, foutreputerelle ! les voyages, les vrais, de l’invention, de l’exotisme, du merveilleux, du Jules Verne, nom d’une bite en bois !

Comme tous les malheureux qui tombent sur ce livre depuis plus d’un siècle, je me suis dit exactement la même chose en abandonnant longuement l’ouvrage dans un coin obscur pendant que je me lisais ou me relisais une quarantaine des ouvrages plus classiques de l’auteur…

Et puis, j’ai dû partir une semaine en Bretagne.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, je suis le genre de type qui, s’il va s’emmerder quelques semaines en Crête en profite pour se refaire son Homère dans un cadre approprié, ce genre de choses…

Mais en Bretagne, quoi lire ? C’est compliqué avec les gens qui n’ont pas de littérature… Du coup, soit dit en passant, ils n’ont pas de langue, un idiome qui n’a pas donné de littérature sert autant que les testicules de mon chat castré, c’est au mieux un sabir, au pire une nouvelle façon pour trois dégénérés à l’esprit de clocher de se montrer inhospitalier par la force et, dans tous les cas, un patois sans importance.
Heureusement, un cousinage certain persiste entre la petite et la Grande Bretagne, entre les Bretons et les Britons et là, le choix se fait tout de suite beaucoup plus vaste…

Ainsi, j’ai pu lire Emily Brontë sur un rocher au milieu de la mer situé exactement entre la rue des Hauts du vieux port et la rue de Hurlevent, ça fonctionnait très bien…

Et en passant, j’en ai profité pour emporter mon Julot abandonné, je me suis dit que ça ferait l’affaire aussi… J’ai dû passer une nuit en solitaire dans une cave, certes beaucoup trop chaleureuse, mais je pense que l’ambiance était là, j’ai même reçu la visite d’un malheureux papillon de nuit abandonné au teint terreux, il se posait à ma droite, sur le drap, à côté de l’oreiller, bien au chaud sous le rayon de la lampe et refusait de bouger, malgré toutes mes tentatives… Toute la nuit, à chacun de mes nombreux réveils, je regardai sur le côté et il était là, fidèle au poste, je l’ai appelé Sphincter, en hommage au célèbre Acherontia atropos qui lui ressemblait un peu et à la couleur de sa robe.

Comme ça, de temps en temps, quand je tombais sur un dicton merveilleux du genre : « Quand on met un Irlandais à la broche, on trouve toujours un autre Irlandais pour la tourner », je lui lisais ça tout haut et on riait tous les deux, c’est affectueux ces bêtes là, même qu’elle venait me chatouiller le t-shirt avant de reprendre sa place si je la taquinais par trop brusquement, ça doit être la façon d’enlacer des lépidoptères…

Alors, P’tit Bonhomme est un gamin de deux ans qui grandit plus ou moins abandonné et essaie de survivre dans un monde fascinant de cruauté, il y a des détails sur l’ingéniosité des propriétaires terriens pour déloger une famille de paysans méritants qui donnent froid dans le dos. Le tout baigne comme prévu dans le Dickens, le Malot et même la Comtesse de Ségur, mais dans un mélange à la Jules Verne avec quelque chose de géographe derrière qui donne envie de créer une liste du genre, mais avec un autre Verne parce que quand même, faut pas exagérer…

Ca me rappelle qu’il faut que j’offre ce livre à Hélice, moi, c’est tellement fait pour elle.

Il y a quelques naïvetés touchantes, sur l’indépendance en particulier qui, quoique prophétique, n’apportera jamais la réponse miracle aux problèmes sociaux décrits dans le livre. Mais en fait, ce qui compte, c’est de rendre palpitante la vie et la situation si particulière de cette île, dépendant de la patate jusqu’au cou, en permanence sur le fil du rasoir, obligée à l’exil par millions de ses membres, et au milieu, fier représentant de l’esprit d’entreprise anglo-saxon, un tout jeune gamin, un P’tit Bonhomme sans autre nom qui nous emmène faire le tour du pays, un road movie avec de longues haltes qui sait prendre le temps de vivre et qui se révèle passionnant du début à la fin.

Le lendemain j’ai raconté à Madame mes aventures zoophiles et le soir je lui ai présenté mon Sphincter qui revenait dévotement prendre son poste au coin du lit…

« - Ah ? C’est lui ton fameux papillon ?
- Yep !
- C’est pas un papillon, c’est une mite.
- … »

C’était effectivement une mite, mais une mite tendre, une mite fidèle, presque une mite amoureuse…

Comme quoi…

Une mite sait fondre.
Torpenn
8
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le 4 août 2013

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Torpenn

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