Papiers
8.4
Papiers

livre de Violaine Schwartz (2019)

J’avais oublié que ma culture ressemblait à une tranche d’Emmental, et donc, je m’étais fait une tout autre idée de Bertolt Brecht et de son éventuel humour (grinçant), telle cette dictée qui ouvre, pratiquement, ce livre dédié au manque de papiers (d’identité) :
« Le passeport est la partie la plus noble de l’homme point
D’ailleurs virgule un passeport ne se fabrique pas aussi simplement qu’un homme point
On peut faire un homme n’importe où virgule le plus étourdiment du monde et sans motif raisonnable point virgule
Un passeport virgule jamais point
Aussi reconnait-on la valeur d’un bon passeport virgule tandis que la valeur d’un homme virgule si grande qu’elle soit virgule n’est pas forcément reconnue point final
De Bertolt Brecht comme ça se prononce.
»
Qu’est ce qui est le plus important, le bout de papier ? L’homme ? Ou la reconnaissance de l’homme ?
Elle a du culot, Violaine, d’ouvrir son livre avec cette facétie ! Bien sûr il est dissonant Bertolt. De qui, de quoi se moque-t-il ? Néanmoins, sans ce sésame l’individu n’est rien, n’existe pas, c’est un non-être. Comme cette femme, premier témoin du livre : aucune preuve d’existence, quand est-elle née ? Où est-elle née ? Ses parents (morts) étaient-ils ses parents ? Est-elle Russe ? Arménienne ? Azérie ? Aucune trace d’elle dans le passé. Elle se pince, parfois, pour s’assurer qu’elle est là, mais aucune preuve d’elle dans aucun registre : elle n’existe pas ! Nulle part.
Tous les récits de vie que recueille Violaine Schwartz sont aussi forts et douloureux que celui de cette femme, d’autant plus violents que l’auteure n’ajoute rien, ni empathie ni pathos, les histoires sont là, brutes, elles se succèdent comme des flux migratoires. Mais elles sont, elles incarnent les flashs infos qui réduisent à des chiffres ces morts en Méditerranée. Des individus deviennent des additions, des refus, des politiques migratoires alors qu’il s’agit d’histoires d’hommes et de femmes, de vies, de survie.
Papiers, ce sont des femmes et des hommes qui se confient à l’auteure. Ils viennent d’Afghanistan, de Mauritanie, du Kosovo, d’Éthiopie, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, d’Irak, ils n’ont rien en commun sinon l’obligation de fuir et celle de raconter toujours la même histoire, la leur, faite de peurs, d’exclusion, de rejet au point de départ de l’exil comme dans cette terre qu’il pensait promise ou d’accueil…
Papiers, c’est l’archive de ces vies, de ces identités incertaines, de cette douleur contemporaine, infinie et toujours recommencée. Écouter ceux que trop souvent on ignore, les entendre puis donner un espace et un asile à leurs mots.
Violaine Schwartz recueille aussi la parole de celles et ceux qui accueillent, créent des associations. Elle révèle ce qui se tait par honte ou nécessité, les réfugiés poussés à changer des éléments de leur histoire, qui vont en acheter une (pour une centaine d’Euros) pour entrer dans le cadre administratif et espérer recevoir des papiers.
On referme le livre abasourdi et honteux. Abasourdi par un spectacle violent, inhumain qui se déroule en permanence sous nos fenêtres mais que l’on refuse de voir et d’entendre. Honteux parce que ces évènements quotidiens on les nie, on les rejette dans les coins sombres de notre bonne conscience jouant les Ponce Pilate.
L’Homme a créé Dieu à son image. Essayons de nous montrer digne de notre création. Ouvrons-nous à nos semblables !

Philou33
10
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le 7 août 2019

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Philou33

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