Patience
6.2
Patience

livre de Marc-Edouard Nabe (2014)

Daesh et Occident : tous coupables.

Comme toute lecture de Marc-Edouard Nabe, il est difficile d'en sortir indemne. Celle-ci peut-être encore plus qu'une autre. D'aucuns pourraient traduire cet ouvrage comme étant pro-Daesh et s'insurger des propos (volontairement violents et provocateurs) du trublion littéraire qu'est Nabe. Mais il est difficile de contester le fait qu'un fond de vérité transparaît de tout cela. En premier lieu, le fait que si Daesh existe, c'est entièrement de notre faute, à nous, Occidentaux. Ou, plus exactement, à l'interventionnisme des Etats-Unis ou de la France dans des pays où ils n'avaient, au départ, rien à y foutre. Cette situation, que presque tout les Occidentaux déplorent (moi y compris), il faut quand même admettre que nous n'y sommes pas pour rien. Et c'est ce que Patience s'emploie à expliquer. L'hypocrisie des gouvernements qui s'offusquent de la violence uniquement quand elle touche ses citoyens ou ses pays mais qui se gargarisent de ses frappes, qui ont massacrés tant d'innocent dans des pays étrangers. Se pencher sur l'existence de Daesh et tenter de comprendre ce qui peut les motiver, tout en s'éloignant des théories médiatiques classiques qui tend à les dépeindre comme des déséquilibrés fanatiques, c'est faire un pas de plus vers une compréhension lucide de la réalité géopolitique du moment. D'autant plus que contrairement aux fantasmes occidentaux, ils ont des revendications territoriales précises et pas forcément une envie d'étendre la charia au monde entier. Sans parler des alliances entre Bachar et les Occidentaux. Comme si Bachar était innocent...


Oui, en effet, Daesh, c'est la faute avant tout de l'Occident et la spirale de violence qui est en place ne risque pas de s'arrêter de sitôt puisque chaque frappe de l'Occident sera suivi d'un nouvel attentat et chaque attentat d'une nouvelle frappe... Mais il m'est difficile de cautionner certaines idées qui transparaissent dans Patience. Principalement, c'est le fait que Nabe croit (à tord) que l'Islam de Daesh est le seul qui soit véritable. C'est d'une fausseté totale. Daesh se penche sur une interprétation du Coran des plus rigoristes quand il en existe tant qui sont bien plus intéressantes. (Je pense notamment à la vague de femmes musulmanes qui voit dans le Coran un côté féministe)* C'est d'autant plus faux que cela mettrait tout les musulmans dans le même sac, celui d'une volonté extrêmement violente de réagir. Ceci-dit, c'est ce qu'il reproche aux musulmans occidentaux, d'en prendre plein la gueule sans jamais réagir. (Il suffit de lire l'ouvrage "Les femmes voilées parlent", paru à La Fabrique pour voir à quel point le climat d'islamophobie s'est accentué depuis quelques années) Il loue dans l'ouvrage le fait que Daesh, contrairement aux musulmans occidentaux, ait osé s'élever contre l'Occident. Ces derniers, s'étant écrasés comme des larves en reniant ce qu'il appelle l'Islam véritable. En ce sens-là, Nabe se trompe complétement et reste dans un fantasme d'un Islam puissant et rédempteur, dans la lignée des penseurs de Daesh.


Au final, l'ouvrage est très intéressant puisque qu'il permet, par une mise en perspective, de comprendre que Daesh, ce n'est pas le mal absolu, qu'il y a une logique à tout cela et que nous en sommes grandement responsables. Cependant, il loue un peu trop les crimes et la violence de l'organisation pour que ce soit vraiment lucide. En effet, renier la violence des Occidentaux en Moyen-Orient mais cautionner celle de Daesh, c'est un deux poids - deux mesures que je me refuse catégoriquement à cautionner. Les deux sont tout aussi condamnables l'un que l'autre, il n'y a pas de hiérarchie à faire dans la violence, de légitime défense ou non. Et, en plus de cela, il y a une certaine tendance de la minimisation des crimes de Daesh qui me gêne particulièrement, notamment sur les femmes qu'il "recrute". Que l'organisation réponde, au départ, à une attaque occidentale, je suis totalement d'accord mais cela n'excuse pas tout. L'interprétation rigoriste de textes religieux, l'idéologie totalitaire, la violence inouïe dont ils font preuve : tout ces élements me portent à une immense gêne à la lecture de ce texte. Daesh et les Occidentaux sont tout deux coupables de ce qu'il se passe en ce moment et savoir qui a commencé importe peu. Ce cycle de violence est une spirale sans fin...



  • Zahra Ali, Féminines Islamiques, La Fabrique, 2012.

Gondebaude
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le 15 nov. 2015

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