Philippe II de France, plus connu sous le nom de Philippe Auguste, roi de France de 1180 à 1223, est un des plus grands monarques que son pays ait connus. Son nom mérite de figurer dans le meilleur du meilleur des têtes couronnées de ce qui n'était pas encore surnommé (et n'en avait pas encore la forme !) l'Hexagone avec les Charlemagne, les Louis VI le Gros, les Saint Louis, les Philippe le Bel, les Charles V, les Charles VII, les Louis XI, les Henri IV, les Louis XIII... la crème de la crème, je vous dis...


Déjà, au temps d'un féodalisme fort, il a bien fait comprendre que c'était lui et personne d'autre le boss ultime, que c'était aux autres de s'incliner devant lui et pas l'inverse. Il a affirmé un pouvoir royal et une centralisation forts. Il a quadruplé le domaine royal (y compris en mettant des taloches cataclysmiques à la pas encore nommée Perfide Albion !). Il a su remettre ses vassaux, y compris le roi d'Angleterre bien à leur place (oui, le roi d'Angleterre était aussi un vassal du roi de France, du fait qu'il était aussi duc d'Aquitaine, depuis l'union entre Henri II Plantagenêt et Aliénor d'Aquitaine, duc de Normandie, comte d'Anjou, du Maine et de Touraine... du moins jusqu'à ce que Philippou en décide autrement, sauf pour l'Aquitaine !).


Non, il n'a pas mis fin à un système qui a perduré, certes bien amoindri, jusqu'à la Révolution française. Certains des puissants serviteurs ont essayé, avec plus ou moins de succès, de profiter des périodes ou des potentielles périodes de faiblesse de la Royauté (genre les régences, genre la folie de ce pauvre Charles VI !), avec de brutaux rappels à l'ordre de la part de personnalités fortes comme Saint-Louis ou Philippe le Bel, avant que Louis XI ait pulvérisé puissamment tout ce bordel. Non, il n'a pas mis fin à ce système, mais il a affirmé comme ce n'est pas permis une royauté forte, à bien fait comprendre que le patron, c'était lui et ensuite ses successeurs. Philippe Auguste a tellement su imposer la royauté capétienne dans les esprits (contrairement à ses prédécesseurs !) qu'il n'a pas cru nécessaire de faire couronner (à raison !) sa progéniture de son vivant par précaution (pour être juste et précis, c'est aussi parce qu'il se méfiait de son fiston, le futur Louis VIII, aussi rusé et efficace que son papounet, qui avait tout pour faire un règne aussi marquant, si celui-ci avait duré plus de trois ans... mais c'est une autre histoire !). Ah oui, il a chassé tous les grands des hautes sphères... enfin, toutes personnes d'un très haut rang, à qui il était généralement lié par le sang... pour désigner des conseillers d'une importance sociale bien moindre, uniquement par rapport à leurs compétences, comme Guérin ou Barthélémy de Roye.


On lui doit aussi des mesures économiques et administratives qui ont rendu le royaume plus riche et sa gestion plus efficiente, notamment en se passant le plus possible des grands seigneurs et en s'adressant directement à des instances plus populaires, par le biais des baillis et des prévôts. Oui, aussi bien pour les affaires intérieures qu'extérieures, il assurait.


Et pour les Anglais, si Richard Cœur de Lion, roi catastrophique, mais redoutable chef militaire, lui a posé quelques belles difficultés (et pas seulement lors de la troisième croisade !), il a montré, du haut de son adolescence, à Henri II qu'il n'était pas né de la dernière pluie et il a profité à mort de la médiocrité néfaste de Jean sans Terre pour le niquer bien profond, en lui prenant tous ses fiefs, excepté l'Aquitaine et les îles Anglo-Normandes (soit à peu près, pour se faire une idée, la moitié de la France métropolitaine actuelle... c'est énorme... énorme !).


Et la bataille de Bouvines, la très fameuse bataille de Bouvines, un chaud dimanche d'été, le 27 juillet 1214 pour être plus précis, lors de laquelle le roi a vaincu, avec des hommes en sous-nombre, d'une manière fulgurante et fracassante, une véritable coalition, composée des troupes de Jean sans Terre, celles de l'empereur du Saint-Empire Otton "je me suis enfui comme une merde la queue entre les jambes" IV et celles de vassaux infidèles. Non seulement, le résultat a été de renforcer d'une façon incontestable le pouvoir de Philippe Auguste, a été d'imposer la France au rang de véritable puissance de premier plan, mais aussi, en utilisant des milices communales (donc des gens du peuple !), de faire naître un germe de sentiment national.


Ah oui, ce qui me fait penser, il a été aussi le premier roi à signer ses actes "Rex Francia" ('Roi de France" !) au lieu de "Rex Francorum" ("Roi des Francs" !). Ouais, il avait dans l'idée de diriger une nation et non pas un groupement de population. Une évidence pour nous qui n'était pas évidente à l'époque.


Autrement, Philippe Auguste était un véritable animal politique, cynique, calculateur, s'en foutant comme d'une guigne de l'esprit de chevalerie pourtant si de son époque (sauf quand cela l'arrangeait !), mais toujours au service de l'intérêt supérieur de l'État. Franchement, j'hésite entre lui, Charles V et Louis XI pour ce qui est de décerner la médaille d'or du meilleur dirigeant français de tous les temps. Même s'il a été le pire mari du monde (je vais revenir sur ce dernier point plus loin !) et qu'il n'a pas été correct avec les Juifs (ouais, lançant une bonne vieille tradition chez les Capétiens directs, il a chassé, lors de son adolescence, les Juifs du pays en piquant leurs biens puis près de deux décennies plus tard, il leur a permis de revenir, mais contre monnaie sonnante et trébuchante !), je suis admiratif.


Bon, ce n'est pas le tout et cette biographie écrite par Gérard Sivéry, historien spécialiste des Capétiens direct ?


Alors, quand on fait appel à un livre écrit par un universitaire, il y a le risque de la sècheresse de style, d'un manque de vivant (tout le monde ne peut pas être un Paul Murray Kendall pour ce qui est de ne citer que les universitaires et, en dehors, je ne mentionne même pas les Stefan Zweig et les Régine Pernoud pour avoir la rigueur de l'historien et le style passionnant du conteur !). Si Sivéry n'échappe pas à ce reproche, notamment en y allant dans une avalanche de détails pas du tout retenables par thématiques, exposés avec parfois une absence de clarté, au lieu de toujours suivre l'ordre chronologique (reste que j'y ai appris moult choses intéressantes, je ne dis pas le contraire !), en s'attachant à essayer d'analyser au mieux la personnalité de son protagoniste, il donne quelques pages captivantes et qui développent des thèses crédibles.


J'ai deux exemples particuliers en tête.


Le premier, alors qu'il était encore dauphin, Philippe, être croyant que tout lui est dû en tant qu'héritier au trône, se perd, lors d'une partie de chasse, à la veille de qui aurait dû être la date de son sacre, pendant deux jours dans une forêt. Les faits d'avoir été seul avec son cheval, au milieu d'un environnement hostile, avant de connaître une maladie, le faisant côtoyer la mort, de laquelle il guérit miraculeusement, provoquent un choc psychologique le changeant en un être grave comprenant qu'il a un véritable devoir à remplir (par contre, le fait que l'historien dise que le futur monarque a inconsciemment fait exprès de se paumer pour échapper à sa future charge, c'est de la surinterprétation à deux balles !).


Le second, c'est que le rejet impulsif, viscéral et irrationnel (risquant même de foutre en l'air la diplomatie entre lui et le pape Innocent III, avec des conséquences graves dans un pays de croyants !) qu'il ressent à l'égard de sa deuxième épouse, Ingeburge de Danemark, est expliqué en partie par la raison que l'alliance avec cette femme n'a pas du tout donné les résultats politiques qu'il espérait. Oui, il s'est marié trois fois et il a fait trois malheureuses. Il a été aussi bon roi qu'il a été nul à chier dans ses relations matrimoniales. Mais la pauvre Ingeburge, elle a vraiment vraiment morflé avec ce connard. Elle a eu une force et une noblesse de caractère exceptionnelles pour survivre physiquement et mentalement à tout ce qu'elle a subi ainsi qu'avoir le dernier mot sur son indigne mari qui a fini par enfin l'accepter lors de ses dernières années.


Reste que le tout pâtit d'une assez grosse faiblesse : pour un motif bizarre et inexplicable, Gérard Sivéry, à chaque fois qu'il évoque des choses excellentes accomplies par le monarque, tente de lui ôter un maximum de mérites. C'est l'impression qu'il m'a donné.


Non, Gégé, Philippe Auguste n'a pas juste triplé le domaine royal, il l'a quadruplé (et je ne reparle même pas des territoires conquis, ayant appartenu au roi d'Angleterre, devenus fiefs mouvants de la Couronne !). Non, Philippe Auguste n'a pas juste été un quasi-figurant, placé au fond, à Bouvines (c'est l'impression qu'il m'a donné !). Il y a réellement mené ses hommes comme un vrai chef de guerre et y a réellement risqué sa vie avec un courage physique exceptionnel. Guérin a peut-être apporté beaucoup lors de cette bataille, a eu un rôle vital, mais le roi a eu une part inestimable de mérite. Et non, contrairement à ce qu'essayent de le faire croire les dernières lignes de l'ouvrage, Philippe Auguste n'a pas eu comme seule qualité essentielle d'avoir su s'entourer de personnes extrêmement compétentes (ce qui ne serait déjà pas mal, après tout si Charles VII, personnalité peu brillante, mais au règne brillant, ayant hérité comme personne avant et après lui d'un pays en un aussi pitoyable état, l'a laissé plus puissant que jamais, c'est qu'il était conscient de ses propres limites et des grandes qualités de certains membres de son entourage, à qui il a eu l'intelligence de donner carte blanche !), il avait des aptitudes de leader brillantes et a eu un bilan global impressionnant.


Bref, est-ce que je recommanderais cette biographie à quelqu'un qui souhaite connaître la vie du grand Philippe Auguste ? Pas forcément !

Plume231
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le 30 juil. 2023

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