Des feuilles volantes au-dessus de l'océan

Peut-être y avait-il une raison profonde à ce que Victor Hugo laisse d'abord à la poussière et à la décomposition, au fond de ses tiroirs, les nombreuses feuilles volantes qui furent publiées à titre posthume. Ainsi Post-scriptum de ma vie est un recueil d'ecrits qui n'ont pas été publiés du vivant de Victor Hugo. Et cette publication, seize ans apres la disparition de l'auteur, peut ressembler à un vol. Des pensées, des lignes de mots inachevées livrées en pature à la critique. Autrement dit le vol d'un écrivain et de son intimité. C'aurait pu être la liberte de créer arrachée puis piétinée.
Cela ressemblait à un pari dont le risque, dans le cas de Victor Hugo, aurait été d'en violer le mythe et de placer ce thaumaturge de la littérature française là où il ne semble pas être totalement à sa place, c'est à dire au milieu des hommes.


Contrairement a ce que j'ai pu croire il n'en est rien. Ce n'est pas un vol mais un legs que nous fait sciemment Victor Hugo lui-même :



Si je meurs avant d’avoir fini, mes enfants trouveront dans l’armoire en faux laque qui est dans mon cabinet et qui est tout en tiroirs, une quantité considérable de choses à moitié faites ou tout à fait écrites, vers, prose. Ils publieront tout cela sous le titre Océan.



1846.



Son oeuvre posthumes est de manière générale la plus faible selon moi. Et Post-scriptum de ma vie est, à mon gout (!), l'ecrit de Victor Hugo le moins bon de tout ce que j'ai pu lire de lui jusqu'à maintenant, c'est à dire tout, au-dehors de ses ecrits politiques et de sa correspondance. 


Je pourrais dire que j'ai moins apprecié son style. Extrêmement marqué, extrêmement dense, extrêmement rapide. En un mot : pesant. Les antithèses d'Hugo même s'il manie comme aucun autre cette figure qu'il préfèra entre toutes sont omniprésentes et étouffent son discours. De même la surenchère d'énumérations, à tout propos, est parfois écœurante. En outre autant je defends, contre ses détracteurs les plus malhonnêtes, la pensée profonde de Victor Hugo, celle qu'il suggère tout au long de son œuvre, autant dans ce recueil c'est souvent d'une triste vacuité.



Le temps nous manque dans ces pages rapides. Notre but est littéraire, et non scientifique.



Post-scriptum de ma vie.



Certes. Hugo était écrivain avant tout. Et au-delà de toute autre considération cela reste magnifique, évidemment. Surtout ses dernières lignes qui résonnent comme un émouvant adieu... (il faut tout lire ne serait-ce que pour ces lignes !). Mais cela n'est qu'un Victor Hugo qui tremble. Il le sait probablement. Mais il sait aussi que ces feuilles volantes participent par leur(s) faiblesse(s) de son genie.
Ainsi le mythe n'en est pas ébranlé pour autant. Au contraire ! Je crois qu'il y a quelque chose de sublime et de très poétique dans tout cela finalement, c'est que loin de le diminuer, ces ecrits le grandissent. Car le génie doit avoir ses imperfections. Victor Hugo l'aura parfaitement illustré apres nous l'avoir chanté en long et en travers dans toute son oeuvre que ce soit particulierement dans son grand manifeste William Shakespeare, dans Post-scriptum de ma vie ou dans Fragments philosophiques etc



Après un horizon un autre se révèle ;



Toujours l'esprit avance et l'art se renouvelle.



Pour refaire sans cesse avec de la clarté



Une dot de chefs-d’oeuvre à l'homme épouvanté,



Les grands hommes sont là comme de grands prodigues.



Nous avons beau forger des lois, creuser des digues,



Le génie engloutit tout ce que nous faisons



Sous un splendide amas d'immenses floraisons.



Dans sa route sans fin rien n'arrête sa marche.



Il fait Rome après Thèbes et le dôme après l'arche ;



Il fait le Colisée après le Parthénon.



Homère meurt, laissant comme un astre son nom ;



Eschyle suit ; la France éclot quand Rome expire ;



Puis Rabelais surgit, Cervantès naît, Shakespeare



Luit, et ces hommes sont comme des océans.



Le colosse qui vient fait peur aux vieux géants ;



Dante épouvante Amos ; Michel-Ange intimide,



Rien qu'en dressant le front, la grande, Pyramide,



Et, de l'Apollon grec au Sphinx égyptien,



Fait devant l'art nouveau frissonner l'art ancien.



in Toute la lyre



Pour Hugo le génie est un océan. D'où la beauté de Post-scriptum de ma vie et de son œuvre posthume en général.

Dirini_
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le 7 févr. 2020

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