Comment un essai de sociologie aussi péremptoire, et dépourvu de références universitaires, peut-il être à ce point pertinent plus de 120 ans après sa rédaction ?
Gustave Le Bon écrit Psychologie des foules à la fin du XIXe siècle, et opère une sorte de synthèse des 120 ans qui l'ont précédé : à la fois ce qui a pu changer et ce qui a pu demeurer stable. Les situations qu'il décrit et les analyses qu'il en tire, en dépit de leur absence d'argumentaire scientifiques, sont criant de justesse. Ce livre est rempli de citations qui décrivent les expériences du quotidien avec tant d'acuité qu'elle frappe par leur limpidité.
Et quelque part, depuis la fin de XIXe siècle qui lui servit de cadre, la situation politique n'a somme toute pas changée, et le mouvement des gilets jaunes est l'application vivante des principes qu'il énonce dans ce livre.
Ce qui est intéressant avec Le Bon et son livre, c'est qu'il parvient en même temps à tirer du positif et du négatif de la situation des foules. Il nous invite quelque part à prendre conscience pour nous en tant qu'individu des excès de la foule, mais souligne en même temps la désagrégation complète des nations sans l'exaltation d'une identité et d'une valeur.
Que l'on soit en accord ou non avec ses positions politiques, les derniers paragraphes du livre ont une portée suffisamment prophétiques pour que j'en cite un extrait qui avait vu juste quant à l'évolution des sociétés occidentales.
Selon la thèse qu'avance Le Bon, les idées qui imprègnent les races (c'est-à-dire les nations dans son ouvrages) sont issues d'un héritage très ancien et qui créé un "idéal de société", voici ce qu'il en dit:
Avec l'évanouissement progressif de son idéal, la race (1) perd de plus en
plus ce qui faisait sa cohésion, son unité et sa force. L'individu
peut croître en personnalité et en intelligence, mais en même temps
aussi l'égoïsme collectif de la race est remplacé par un développement
excessif de l'égoïsme individuel accompagné de l'affaissement du
caractère et de l'amoindrissement des aptitudes à l'action. Ce qui
formait un peuple, une unité, un bloc, finit par devenir une
agglomération d'individus sans cohésion et que maintiennent
artificiellement pour quelques temps encore les traditions et les
institutions. C'est alors que divisés par leurs intérêts et leurs
aspirations, ne sachant plus se gouverner, les hommes demandent à être
dirigés dans leurs moindres actes, et que l'Etat exerce une influence
absorbante.
(1) à ne pas entendre au sens racialiste