Le but n'est pas de faire avancer la connaissance, il est d'être au courant. - Serge Moscovici

Ce livre est initialement paru en 2012, sous le titre The Psychology Book. Il a été rédigé par 6 auteurs : Catherine Collin (psychologue clinicienne à Plymouth), Nigel Benson (professeur de philosophie et de psychologie), Joannah Ginsburg (psychologue clinicienne et journaliste américaine), Voula Grand (psychologue d'entreprise et romancière), Merrin Lazyan (écrivaine, éditrice et chanteuse classique américaine), et Marcus Weeks (écrivain, musicien et professeur de philosophie).


Cet ouvrage se présente comme les autres de la collection. Il commence par des petites phrases sur la couverture, pour attirer l'attention du lecteur potentiel. Les auteurs sont rapidement présentés en 2 phrases chacun, en 1 seule page. Le sommaire présente le découpage de l'ouvrage en 7 chapitres, avec la liste des psychologues retenus pour chacun, et la citation afférente. L'ouvrage passe en revue 102 psychologues. Le découpage en chapitre est le suivant : (1) les racines philosophiques, (2) le béhaviorisme, (3) la psychothérapie, (4) la psychologie cognitive, (5) la psychologie sociale, (6) la psychologie du développement, (7) la psychologie différentielle.


L'ouvrage entre dans le vif du sujet avec une introduction magistrale de 2 pages. Puis chaque chapitre se présente de la même manière. Il comprend une introduction de 2 pages, ornée d'une frise chronologique sur les parutions les plus significatives relatives à cette approche de la psychologie. Ensuite chaque psychologue a le droit à une entrée d'une longueur variant entre 1 page, 2 pages, 4 pages ou 6 pages. Chaque entrée comprend au moins un petit logo censé évoquer le concept de la pensée, une colonne relative au contexte (famille de l'approche, 2 ou 3 psychologues s'étant penché sur cette approche avant, et 2 autres après), une rubrique Voir Aussi (renvoyant à des entrées de l'ouvrage relatives à des psychologues connexes à la notion développée). Le titre est constitué de la citation, avec le nom et la dates de naissance (éventuellement de mort) du psychologue. Vient ensuite le texte exposant sa théorie, ornementé soit d'une autre citation, soit d'une photographie pour illustrer son propos. Pour les entrées de 2 pages ou plus longue, se trouvent également une courte biographie du psychologue, un schéma articulant son raisonnement, d'autres citations et éventuellement d'autres photographies.


L'ouvrage se termine avec un répertoire recensant 36 autres psychologues ayant contribué au développement de cette discipline, ainsi qu'un glossaire de 97 termes, un index et les crédits photographiques.


L'introduction de 4 pages résume très bien les a priori générés par la psychologie : nombre important de termes passés dans le langage courant, dans le quotidien culturel, beaucoup d'idées reçues, un doute entre l'image d'un quinquagénaire d'Europe Centrale, ou celle d'une gentille dame en blouse blanche dans un laboratoire, quelques noms emblématiques (Sigmund Freud, Carl Jung, Jacques Lacan, Abraham Maslow, Boris Cyrulnik, Françoise Dolto, Stanley Milgram, et peut-être quelques autres), mais de là à en aligner 102, c'est un exploit. Contrairement à l'ouvrage sur les philosophes, celui-ci n'adopte pas une approche chronologique. Cela découle de la période considérée qui s'avère assez courte (une centaine d'années, une fois passé le premier chapitre sur les racines philosophiques). Les auteurs ont donc choisi de répartir les différents psychologues par école, ou plutôt par approche, et après dans chaque catégorie de revenir à un ordre chronologique.


À la lecture, ce choix de répartir les praticiens, cliniciens et théoriciens prend tout son sens et permet au lecteur de se faire une idée de chaque approche, à la fois grâce à l'introduction de chaque chapitre, et à la fois par les concepts sous-jacents présents en filigrane dans les entrées d'un même chapitre. Comme dans les autres ouvrages de cette collection, le lecteur apprécie la composition rigoureuse de chaque entrée. La diversité des éléments (logo, citation, illustration, et éventuellement biographie et schéma) évite toute impression de texte massif et indigeste et permet au lecteur de papillonner s'il le souhaite. C’est-à-dire qu'il peut se lancer dans la lecture du texte principal, et faire des pauses pour absorber ce qu'il a lu en regardant un autre élément. Il a la possibilité d'établir des liens d'un psychologue à l'autre ou de retourner voir une autre entrée, grâce aux références internes présentes sur la page, et grâce à la chronologie des concepts. Le lecteur est également libre d'ignorer ces à-côtés, s'il préfère se concentrer sur la lecture du texte d'un seul tenant. La forme de chaque entrée lui donne une latitude d'organiser sa lecture, dans l'ordre qui lui sied (une forme participative de lecture très appréciable).


Le premier chapitre commence calmement avec quelques philosophes connus et d'autres moins, et des petites phrases assez gentilles, c’est-à-dire qu'elles ne semblent pas aller à l'encontre du bon sens ou des idées reçus. Le lecteur se familiarise avec la mise en page et peut ainsi établir sa stratégie de lecture, lire quelle partie avant quelle autre, ou milieu de quelle autre. Il remarque que certains psychologues ont droit à plus de pages que d'autres. Tout au long du tome, ceux qui sont jugés les plus importants ou dont les idées ont été les plus révolutionnaires ou ont constitué les plus grandes avancées bénéficie de plus de pages. Sont ainsi mis en avant avec des entrées de 6 pages William James (1842-1910), Burrhus Frederic Skinner (1904-1990), Sigmund Freud (1856-1939), Carl Rogers (1902-1987), Donald Broadbent (1926-1993), Stanley Milgram (1933-1984), Jean Piaget (1896-1980), et Gordon Allport (1897-1967). À l'évidence, un ouvrage, même aussi épais et bien conçu que celui-ci, doit faire des choix et établir des priorités. Le lecteur peut y voir un biais, ou un parti pris.


Néanmoins, les auteurs prennent bien soin de ne pas porter de jugement sur les théories qu'ils présentent. Par exemple, ils évoquent le mouvement antipsychiatrique, sans pour autant tourner en dérision les théories présentées dans le chapitre 2, qu'il s'agisse de celles de Sigmund Freud, ou des autres. Quand nécessaire, ils précisent quels autres psychologues sont revenus sur les théories énoncées par celui évoqué, et en quoi ils ont pu les remettre en question. Mais ils ne vont jamais jusqu'à en dénoncer une comme étant un tissu de bêtises ou un salmigondis fumeux. Ils respectent l'importance qu'il leur a été donné dans l'histoire de la psychologie.


Le lecteur se rend également compte que les courtes biographies sont trop synthétiques pour pouvoir se faire une réelle idée de leur parcours de formation ou des polémiques dont ils ont pu faire l'objet, ou encore de la manière dont ils ont pu convaincre de leurs idées. Par contre, c'est suffisant pour savoir d'où ils viennent, et de se rendre compte des difficultés qu'ils ont affronté au cours de leur vie personnelle (la plus terrible revenant à Robert Zajonc).


Par la suite, le découpage en chapitre permet de bien savoir à quelle approche chaque psychologue se rattache. Cette répartition permet également de se faire une idée du béhaviorisme, et de le rattacher à l'approche pragmatique américaine. Par comparaison, le lecteur retrouve l'approche plus théorique européenne, avec le cas très particulier du créateur de la psychanalyse, et le manque de preuve et même de démarche scientifique de cette approche. Comme dans les autres ouvrages de cette collection, la présentation quasi chronologique (pour chaque approche) permet non seulement de voir les théories évoluer et les liens entre les différents psychologues, mais aussi de découvrir d'où sortent certaines idées reçues par exemple sur l'éducation, ou sur la nécessité absolue de la présence de la mère aux côtés de son nourrisson pour lui assurer un développement en toute sérénité. Il est également éclairant de (re)voir Timothy Leary prôner l'usage du LSD.


À cette occasion, le lecteur peut aussi se rendre compte de l'impact de ces théories sur la société. En particulier, les différentes théories sur l'éducation impactent directement la manière d'enseigner dans les écoles (peut-être moins de bourrage de crâne et plus de participation). Les études sur le développement du nourrisson en fonction de la présence de sa mère façonnent aussi la manière de voir la cellule familiale, mais également la place de la femme dans la société (doit-elle rester à la maison, ou peut-elle aller travailler ?). Encore plus loin, les réflexions sur la cellule familiale ont des conséquences directes sur la possibilité d'envisager des couples homoparentaux ou non. De chapitre en chapitre, le lecteur ne peut que constater que les psychologues évoqués se répartissent majoritairement entre les États-Unis et l'Europe. En arrivant page 256, il découvre (ou retrouve) le point de vue d'Ignacio Martín-Baró qui pointe du doigt que la majorité des concepts développés le sont par des occidentaux pour des occidentaux, dans des pays qui sont en paix.


Décidément, l'introduction est d'une pertinence redoutable. Ayant remis en place ses idées sur le béhaviorisme et sur la psychanalyse, le lecteur peut s'aventurer dans des territoires plus récents. Le concept de la psychologie cognitive est expliqué avec soin et clarté, et le lecteur peut ainsi apprécier les différentes entrées. S'il a déjà été confronté à l'art issu du mouvement surréaliste, il ne peut qu'être soulagé quand Daniel Kahneman lui explique que ce n'est pas de sa faute s'il est constamment à la recherche de liens de causalité. Il découvre également les méthodologies d'expérience des psychologues. Par exemple, Donald Broadbent a testé ses idées sur des aiguilleurs du ciel pour se rendre compte qu'on ne peut écouter qu'une seule voix à la fois.


Mais en termes d'expérience, le meilleur ou le pire se trouve dans le chapitre suivant, avec la psychologie sociale. En (re)découvrant l'expérience de Stanley Milgram, puis celle de Philip Zimbardo, il en reste comme deux ronds de flan, et se dit qu'il doit absolument prolonger sa lecture avec Sociologues (les grandes idées tout simplement). David Rosenhan propose une expérience pour déterminer la pertinence des examens pour déterminer si un individu souffre de troubles mentaux ou non, avec un résultat catastrophique qui laisse sans voix.


Le lecteur tombe des nues en découvrant la phrase de Serge Moscovici : le but n'est pas de faire avancer la connaissance, il est d'être au courant. Après avoir lu les 2 pages qui lui sont consacrées, il en ressort convaincu. Même si les phrases choisies sont moins choquantes que celles du livre sur les philosophes, un certain nombre d'idées vont à l'encontre de l'intuition et il n'est pas sûr que le lecteur sera convaincu par toutes les théories exposées. Ainsi Noam Chomsky prétend que l'organe du langage se développe comme tout autre du corps humains, mais aussi qu'il s'agit d'une fonction acquise par hérédité. Si le principe est clairement exposé, la brièveté du texte (2 pages) est forcément réductrice de sa pensée et peut expliquer qu'elle apparaisse bizarre et pas entièrement convaincante. De même l'accumulation de théories finit par faire apparaître des points du vue qui ne sont pas complémentaires, par exemple sur les besoins ou les préoccupations de l'individu : la mort, la liberté, la solitude existentielle et l'absurdité pour Irvin Yalom, ou la survie, l'amour et l'appartenance, le pouvoir, la liberté, le divertissement pour William Glasser.


Il y a malgré tout quelques phrases décapantes. En déclarant que la principale tâche de l'homme est de se donner naissance à lui-même, Erich Fromm donne l'impression d'énoncer le principe de l'existentialisme de Jean-Paul Sartre. Eleanor E. Maccoby prend à rebrousse-poil le machisme en rappelant que les filles obtiennent de meilleures notes à l'école que les garçons. George Armitage Miller promeut le nombre magique sept plus ou moins deux, décontenançant le lecteur. J.P. Guilford le déstabilise en lui demandant de citer tous les usages que l'on peut faire d'un cure-dents.


Cet ouvrage sur les psychologues bénéficie d'une pédagogie exceptionnelle, et tient toutes ses promesses. Le lecteur découvre les différents courants de pensées, dans une organisation très claire. Il découvre de nombreux psychologues dont les théories ont eu des répercussions sur la vie de tous les jours. Il découvre également que les questions qu'il peut se poser à propos de son propre cerveau, de son flux de pensée, de ses sensations, de son sentiment de différence sont partagées par une grande partie de l'humanité, sans pour autant qu'il ne souffre de troubles mentaux. Il apprécie que cet ouvrage s'achève avec un chapitre sur la psychologie différentielle qui prend en compte la personnalité de l'individu en tant que tel, plutôt que de réduire son comportement aux caractéristiques d'une catégorie.

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le 7 mars 2019

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