Ravage
7.2
Ravage

livre de René Barjavel (1943)

Le début de Ravage est juste parfait. La description de cet avenir est extrêmement réaliste : les trains à très grande vitesse, la circulation aérienne, les cultures "in vitro", les robinets de lait, les somptueux galas en réalité virtuelle, ... Cela est suffisamment proche de notre situation actuelle pour qu'on s'y retrouve, mais on sent bel et bien qu'on est plongé dans de la SF de qualité. Quelle surprise alors d'apprendre que le livre a été écrit en 1943 ! J'ai été impressionné par la qualité de cette anticipation.

Mais forcément une catastrophe allait se produire.
Soudainement, toute les sources d'énergie se tarissent, que ce soit le nucléaire ou la "quintessence", cette source d'énergie futuriste. Ce genre de scénario peut nous paraitre classique (récemment, la série Révolution l'a reprise, avec le succès que l'on sait), mais il est traité dans Ravage avec brio. Tous les transporteurs volants retombent au sol dans une grêle meurtrière. Les métros s'arrêtent et les gens sortent dans le noir, se perdent, paniquent, se piétinent. Les parisiens dans les immeubles cherchent désespérément à descendre dans la rue et se bousculent dans les escaliers. Certains commencent déjà à faire les poches de leur voisin. Portés toujours par la gravité, ils descendent, descendent, jusqu'à manquer la porte d'entrée et se répandre dans les sous-sols, où ils retrouvent leurs morts qui commencent à se réchauffer dans leurs vitrines. Partout, l'incrédulité laisse place à la panique.
On assiste à un conseil gouvernemental délicieusement ironique : le ministre des sports n'a pas eu le courage de venir à pied. Le ministre du progrès social est un vieux réactionnaire. Le ministre de la guerre est un général est gonflé par l'orgueil que lui inspirent ses baïonettes. Etc. Néanmoins, malgré leurs divergences, ils sont bien décidés à essayer de sauver leur pays.
Les pillards commencent à régner sur la ville, et des bandes se forment. Puis le choléra fait lui aussi son apparition, maladie du passé ramenée à la vie par les morts en décomposition.
Très vite, un terrible incendie commence à ravager Paris, et même le gouvernement minable, mais volontaire, disparait sans laisser de trace. Les gens sont livrés à eux-mêmes. Les citadins, revenant vers Dieu dans leur détresse, se rendent à une messe sur le Champs de Mars, mais plus de la moitié sont brutalement tués par une explosion tout près. Les survivants se dispersent, sûrs du courroux de Dieu qui ne semble pas prêt à pardonner.

Le début du livre est donc à la fois réaliste, palpitant, et effrayant. Que quelqu'un ramène Barjavel d'entre les morts et lui fasse écrire un livre de zombies !

Par la suite il faut fuir le feu et rejoindre la provence. C'est une longue marche hallucinée que j'ai à nouveau trouvé très bien décrite. Le petit intermède dans l'asile de fous où se déroulaient des expériences aux rayons d'Oslo est un peu hors-sujet, mais est néanmoins assez rafraichissant. Je n'ai toujours pas compris pourquoi le docteur avait tenté de rencontrer le type qui se prenait pour la Mort, par contre... Il était fatigué de la vie, ou quoi ?

Parlons en un peu, des personnages :
On s'attache gentiment à certains des compagnons de la petite troupe, mais il faut avouer que Barjavel s'en débarasse parfois tellement brutalement qu'il vaudrait mieux ne pas créer de liens. La mort de Martin, écrasé par un tronc, est particulièrement éloquente. J'aimais beaucoup Narcisse, notamment parce que c'était un breton (même si un peu caricatural), mais je dois avouer que je ne suis pas sûr qu'il ait survécu. Blanche, aka Regina Vox. : son personnage est un peu présenté comme une jeune fille à peine sortie de l'enfance, mais déjà opportuniste puisqu'elle se fiance à un vieux shnock très riche. Elle quitte ses études de femme au foyer (wtf ?! hem hem) pour se devenir une vedette de télé. Cependant elle est sauvée par François qui est fou d'elle et qui est heureusement plus pratique que Jérôme Seito qui meurt bêtement écrasé par un cheval. On la prend en pitié mais on ne s'attache pas vraiment. Seito est assez intéressant, j'aurais aimé qu'il survive plus longtemps. Plus que tout autres, il a perdu son pouvoir sur les hommes et ses richesses, donc ses réactions auraient pu être passionnantes.
Non les personnages sont chouettes, le seul point noir concerne François, qui a un énormé côté obscur,que l'auteur semble cautionner, d'ailleurs, puisqu'il n'est jamais critiqué pour ça. Très vite, il prend sur lui de massacrer des bandes rivales, et force Martin à tuer des prisonniers pour prouver sa valeur. C'est un comportement digne du Gouverneur dans the Walking Dead. Derrière ses "Blanchette, ma blanchette", se cache un type qui va fendre le crane d'une sentinelle parce qu'elle s'est endormie pendant sa garde. C'est un survivant que j'aurais sans doute suivi dans une telle situation, mais il n'est pas tout blanc. Du coup son rôle de Patriarche à la fin semble un peu exagéré, mais après tout : ce sont les gagnants qui font l'histoire. Comme s'il fallait une nouvelle preuve de son extrémisme : il promeut les autodafés et vu jusqu'à assassiner un jeune Einstein qui, parce qu'il a vu de l'eau bouillir, a réussi à construire un véhicule à moteur tout seul. Ok pour ne pas retomber dans les travers d'antan, mais aller jusqu'à refuser tout progrès technologique, ça se discute. D'ailleurs le progrès semble naturel, l'homme est clairement fait pour réfléchir et pour inventer des choses, et on ne pourra pas trucider tous les inventeurs potentiels, à moins de lancer une nouvelle inquisition.

Enfin bref. Tout ça pour dire que j'ai dévoré le livre et qu'il m'a véritablement enchanté et fait réfléchir. Je recommande !
Samish
9
Écrit par

Créée

le 25 juil. 2013

Modifiée

le 25 juil. 2013

Critique lue 1.1K fois

2 j'aime

Samish

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