Imaginez, la capitale bretonne dans dix ans. Ces 14 auteurs l’ont imaginée et couchée sur du papier (enfin tapée sur leur ordinateur), et je me suis emparée du recueil dans un salon rennais, entre les deux confinements, quand tous les rassemblements sont interdits, et je l'ai fait dédicasser (bien sûr). Pourquoi je l’ai acheté ? D’abord parce que j’ai participé au concours que Calibre 35 a lancé en 2019 pour faire entrer deux nouveaux auteurs dans son collectif, et ensuite parce que c'est par la grande porte de Rennes que j'ai adopté la Bretagne. Mais surtout, parce que j'adore les récit noires, sombres, et les dystopies. Assez raconté ma vie ! Entrons dans le détail…


Reconstruire, Isabelle Amonou (7/10) :
On commence fort avec une ville détruite et une vie détruite, celle d’un homme seul et nostalgique. Pour un futur noir, il est noir. Le fil conducteur de cette nouvelle noue intelligement deux aspects : la relation amoureuse et les changements climatiques. Une sorte de parallèle presque métaphorique est dressé entre ces deux intrigues qui se provoquent l’une et l’autre, et finissent par s’entrechoquer dans un dénouement des plus angoissants. Une très bonne entrée en matière.


Utopie vaudou, Claude Bathany (4/10) :
La possession des désirs et envies par le progrès technologique. Ca aurait pu être bien flippant. Mais une partie de ce texte est totalement obscure. Je ne veux pas dire par là que la nouvelle est noire, bien qu’elle le soit, je ne l’ai surtout pas vraiment comprise. Le récit est entrecoupé de lieux et de dates en italiques dont je n’ai pas saisi l’utilité. A vrai dire, je n’en ai rien retenu… Assez oubliable donc.


Prédiction, Thierry Bourcy (6/10) :
Ici, on se retrouve bien à Rennes, mais est-ce dans l’avenir ? Tous les détails futuristes des descriptions m’ont donné l’impression d’être de simples prétextes à la science-fiction, une supercherie pour dire “Si si, c’est bien en 2030″, voire une diversion artificielle pour égarer le lecteur afin de mieux le surprendre, ou au moins pour l’émouvoir en lisant la chute. Chute qui, par ailleurs, est bonne, mais peut-être un peu trop rapide, ce qui a tendance à limiter son impact émotionnel, finalement.


And who hears when animals cry, Nathalie Burel (5/10) :
Mon avis est mitigé après la lecture de cette nouvelle au contexte littéraire intéressant, mais un peu trop riche à mon goût. La société a viré de bord, la politique a retourné sa veste : l’écologie, le féminisme et la torélance sont au pouvoir, mais poussés à leur paroxysme, au point d’être devenus des contraintes extrémistes, presque dictatoriales. D’accord, l’ironie est bien trouvée. On veut un gouvernement plus fémino-centré, qui fait attention à la planète et condamne la discrimination, eh bien le voilà ce monde “parfait” ! Mais… j’ai l’impression que ce récit fictif donne beaucoup trop la parole aux racistes, aux sexistes, aux machistes et aux climato-sceptiques (et aux beaufs). C’est un peu bizarre, surtout pour quelqu’un qui défend ces causes, parce qu’on se sent discrédité et moqué. Disons que je n’ai rien contre cette histoire, mais elle m’a posé problème dans sa narration, sa façon de traiter le sujet.


Track, Danü Danquigny (8/10) :
Entre une triste téléréalité augmentée et un joyeux hunger games, voici Rennes dans toute sa progression. C'est une ville connectée, améliorée, mais terriblement ennuyeuse, et toujours aussi bretonne à en juger par la pluie et la grisaille (pardon, j'aime blaguer sur les clichés). Les Rennais dépeints ici vivent sous l'oeil vicieux des drônes, 24H/24... je vous laisse imaginer le malaise.
De l’action, un contexte, une intrigue simple, et pas de tartine sur le protagoniste, ce qui suffit pour le comprendre et s'identifier à lui. C’est dynamique, humoristique, tout en étant noir à souhait : droit au but. L’alternance entre le point de vue du protagoniste et celui des trackeurs, les nouveaux justiciers de l’avenir, augmente considérablement le suspens. C’est bien écrit et ça prouve qu’une courte nouvelle, retour au fondamental, peut être très efficace.


Germaine Petrograd, Benjamin Dierstein (8/10) :
Une bonne nouvelle, très originale, et dont les animaux sont cette fois-ci des acteurs, et pas seulement des victimes. Mais, manque-t-il une chute ? ou bien la fin est cette perspective sans perspective, une ville en guerre, et des types qui en profitent. J’ai beaucoup aimé l’écriture imaginée, presque cartoonesque. Les animaux humanisés, c’est très bien fait, on s’y croirait presque. Pour le coup, Rennes en 2030 est bien dépeinte, c’est visuel et ça m’a donné très envie de retourner dans la capitale bretonne pour la revoir une dernière fois avant qu’elle ne se transforme en ville noire !


RoazhonCop, Thomas Geha (7/10)
Voici un mixe entre l’aoriginalité et la réappropriation de thèmes connus des oeuvres de Science-Fiction (Big Brother es-tu là ? A moins que ce soit Minority Report ?). Après la nouvelle TracK, qui faisait passer une émission de téléralité pour un service anticriminel, voici l’intelligence artificielle qui s’apprête à remplacer notre bonne vieille police. La chute est bonne, à vrai-dire, elle est trash, et c’est la circularité du récit qui le hisse à ce niveau de réussite. Néanmoins, il y a des problèmes de crédibilité selon moi, et une irrégularité dans l’écriture qui oscille entre l’oralité vulgaire et émotionnelle, et l’objectivité imaginée, presque cinématographique, avec un vocabulaire en dent de scie.


Bête devis eyes, Stéphane Grangier (5/10)
Ne me demandez pas, moi non plus je n’ai pas compris le titre. Quant à la nouvelle, j’ai trouvé le contexte de l’intrigue un peu technique et en cela complexe (l’architecture ne passionne pas tout le monde, faut le comprendre), bien que le fil rouge soi carrément intéressant. Par contre, le thème du recueil est le futur de Rennes, et je n’ai pas décellé cet aspect dans le texte, bien que j’y ai vu un récit noir. L’originalité réside selon moi dans la narration alternant le point de vue interne, le “je” donc, et le point de vue externe omniscient, et c’est un poil déstabilisant. En revanche, je n’ai pas trouvée spécialement pertinente la coupure des scènes de tension ou d’action par des soudaines descriptions d’antécédents de personnages secondaires. Ca brise le rythme et réduit l’émotion.


Deux Milles Trans, Arnaud Ladagnous (10/10)
Dites bonjour à la DynaMiTe 3.0, la nouvelle drogue à la mode dans la future Rennes. Elle fait un ravage dans tous les sens du terme et provoque des hallu' autrices de suicides (collectifs). C'est là qu'entre en jeu une flic pas comme les autres, la protagoniste-narratrice au langage châtier de chartier. Son rôle ? Arrêter ces foutus dealers en plein milieu des Transmusicales. Enfin, en théorie.
Le trafic de drogue est déjà un sujet brulant à Rennes de nos jours, alors pourquoi ne pas en faire une fiction déjeantée ? (C'est d'ailleurs le sujet de la nouvelle avec laquelle j'ai participé au concours Rennes, 2030) Rien de bien nouveau ici, pourtant, qu'est-ce que c'est original dans le traitement. Les mots sont choisis avec une justesse qui fait que chaque phrase mérite de l'attention. Vous y trouverez sûrement un jeu de mots ou une référence culturelle ou politique. C'est cette justesse qui m'a séduite, autant que le personnage à qui on ne sait trop quel genre attribuer parce qu'il est vierge de tout stéréotype ! Quelle bouffée d'air frais. Dommage qu'Arnaud Ladagnous n'écrive pas davantage...


Rose rouge, Stéphane Miller (6/10)
S’il y a bien un texte noir dans le recueil, c’est celui-ci. L’auteur a pris le parti de se focaliser sur une famille d’étrangers, des roumains, qui vivent dans la pauvreté et qui sont en marge de la société (protitution, drogue, squat…). Ca fait mal d’imaginer des gens vivre ainsi dans notre chère Rennes, et ça n’inspire que le dégoût.


Gibier de potence, Frédéric Paulin (5/10)
Il y a quelque chose de trop journalistique dans cette nouvelle. J’ai eu l’impression de lire des pages d’archives, une description presque exclusivement politique de faits fictionnels qui auraient eu lieu entre 2020 et 2030. Ce fut quelque peu… ennuyeux à vrai dire. Sans comtper que j’ai senti la première chute venir très vite (peut-être dû à ma sympathie pour le gore). Ce que je relève de positif dans ce récit, c’est la place du personnage féminin, son charisme, sa posture, sa détermination. C’est une héroïne, clairement. En revanche, le style ne m’a pas emballée et j’ai eu tendance à trouver le vocabulaire pauvre. Dommage, car le postulat de base, le côté SF de l’éhistoire “Une ville où consommer de la viande est légalement interdit” était une bonne idée.


Ménage de printemps, Elodie Roux-Guyomard (4/10)
Le flop du recueil selon moi. Ce n’est pas le côté déconnecté du temps de cette nouvelle donnant l’impression de simplement lire un morceau de vie, qui m’a déplu. C’est le manque de réalisme, de crédibilité, de motif, le manque de fin en fait. Elle est intéressante pourtant cette femme maniaque à souhaite, complètement tarée, sorte d’anti-héroïne au final. Mais il est difficile de s’y attacher et on ne la déteste pas non plus, et c’est le cas de tous les autres personnages : on ne s’identifie pas à eux. Quant à la relation mère-fille décrite ici est si flippante qu’elle en devient aberrante ! Mais bon, admettons qu’elle soit réaliste. Je peux dire que le titre est bien trouvé, il contraste humoristiquement avec la lourdeur du sujet abordé dans le texte et la noirceur de la chute. Mais l’intrigue ne tient pas debout. Quelles sont les motivations du protagoniste pour en arriver à se débarrasser de son mari et sa fille quand le virus se sévérise ? Si elle ne les aimait pas, qu’elle voulait vivre seule, pourquoi s’être mariée et avoir eu des enfants ? Pourquoi avoir attendu l’épidémie pour les virer de chez elle ? Si c’est juste pour des raisons sanitaire, pourquoi les détester autant ? Que lui ont-ils fait ? Et surtout, pourquoi avoir attendu 10 ans pour revenir sur sa décision de 2020 ? Trop de questions.


Ravages, Christophe Sémont (8/10)
Sans doute la nouvelle la plus pessimiste du recueil ! La fin du monde n’est plus seulement annoncée ou en marche, elle est, tout simplement. Ici, on lit un condensé d’horreur, une suite d’événements tragiques, dont on espère au fond la résolution. J’ai eu un instant l’impression d’être plongée dans un film. Honnêtement heureusement que cette uchronie restera une uchronie…


Au dehors, Erik Wietzel (5/10)
Cette nouvelle m’a un peu laissée de marbre. La première partie m’a plongée dans la confusion, mais c’était a priori normal, il me manquait une clé pour saisir le problème rencontré par les personnages. Quand j’ai compris, j’ai trouvé l’idée originale, amusante aussi, mais un peu plate finalement. Je ne sais pas trop ce que l’auteur a voulu dire. Du coup, ce récit un peut “juste comme ça” me passe dessus notamment parce que la protagoniste et narratrice n’a pas grand chose d’attachant je dirais.


Finalement, j’ai passé de bons moments en lisant ces nouvelles, mais j’ai surtout apprécié me plonger dans cette ville que je chérie : Rennes.

abauteure
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le 22 nov. 2020

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