À la manière des œuvres de Christian Boltanski, et en particulier de ses «archives du cœur», «Réparer les vivants» témoigne de la fragilité de la vie, et explore la frontière entre présence et disparition.

Simon Limbres a vingt ans et un cœur de sportif, il est devenu adepte du surf, prêt à tout pour saisir l’ondulation de la vague, partir dans la nuit, se mesurer au cœur froid de l’hiver.

Le titre est un présage, cette nuit finira mal. «Réparer les vivants» entraîne le lecteur, avec une écriture qui avance comme une onde, dans une plongée incroyablement réaliste dans un outremonde, un espace insondable entre la vie et la mort. Cet espace est un lieu et une communauté, autour du service de réanimation de l’hôpital, et il est métaphorique, dans le cœur de parents qui «transpercent la membrane fragile qui sépare les damnés des vivants».

« Au sein de l’hôpital, la réa est un territoire à part qui accueille les vies tangentielles, les comas opaques, les morts annoncées, héberge ces corps exactement situés entre la vie et la mort. Un domaine de couloirs, de chambres, de salles, que régit le suspense. Révol évolue là, au revers du monde diurne, celui de la vie continue et stable, celui des jours qui s’enquillent dans la lumière vers des projets futurs, œuvre au creux de ce territoire comme on trafique à l’intérieur d’un grand manteau, dans ses plis sombres, dans ses cavités. »

Ce roman ne fait pas partie d’un genre qui m’attire, et ceci pour diverses raisons, mais cette exploration physique et métaphorique des arcanes du cœur, muscle cardiaque et siège des émotions, est impressionnante de maîtrise. Maylis de Kerangal tour à tour amplifie et apaise l’onde de tension qui parcourt le roman, et par les mots nous projette au-delà du langage, dans un lieu où l’espace et le temps changent de poids, de rythme, avec ceux qui viennent pour toujours côtoyer le royaume des ombres.

«Sans doute dut-il croire que l’écho de la mer à l’étroit dans la darse brouillait son écoute, sans doute dut-il confondre la friture sur les ondes, et la bave, la morve, les larmes tandis qu’elle se mordait le dos de la main, tétanisée par l’horreur que lui inspirait brusquement cette voix tant aimée, familière comme seule une voix sait l’être mais devenue soudain étrangère, abominablement étrangère, puisque surgie d’un espace-temps où l’accident de Simon n’avait jamais eu lieu, un monde intact situé à des années-lumière de ce café vide ; et elle dissonait maintenant, cette voix, elle désorchestrait le monde, elle lui déchirait le cerveau : c’était la voix de la vie d’avant.»
MarianneL
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le 27 nov. 2013

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