Requiem pour un paysan espagnol (1953) & Le Gué (1948) (aux Editions Attila, 2010)


À l’intérieur d’une église qui reste obstinément vide, le curé, Mosén Millán, est sur le point, en cette année 1936, de célébrer la messe d’enterrement de Paco, fusillé par les phalangistes. Seul, appuyé contre le mur de l’église, il repasse le film de ses souvenirs, ceux du baptême, de l’enfance de Paco, de ses actes de compassion envers les pauvres, de son mariage, de ses espoirs et de sa lutte après 1931, et enfin de sa chute dont le prêtre a été l’artisan sans l’avoir vraiment voulu.


Par les yeux de ce prêtre passif, défenseur avec l’Église de l’ordre établi et des puissants, sont évoqués en filigrane la misère noire de l’Espagne d’alors, le système de domination des propriétaires terriens hérité de l’époque médiévale et les années troublées précédant la guerre d’Espagne.


Inspiré par l'histoire familiale de Ramón Sender, son frère et sa femme étant tombés sous les balles franquistes, ce court roman initialement publié au Mexique en 1953 est surtout une histoire humaine, celle du courage et de l’intégrité de Paco et celle de l’attitude du prêtre, homme gris qui a trop peu de force pour un grand dessein - qui rappelle ces mots de Primo Levi : « Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter »


« Un groupe de jeune gens arriva au village, des fils de bonne famille avec des bâtons et des pistolets.
Ils avaient l’air de pas grand-chose, et certains poussaient des cris hystériques. Jamais on n’avait vu de gens aussi effrontés. Normalement, ces garçons rasés de près et élégants comme des femmes, on les appelait, au carasol, petites bites, mais la première chose qu’ils firent fut de passer une formidable raclée au cordonnier, sans que sa neutralité lui serve à quoi que ce soit. Puis ils abattirent six paysans, dont quatre de ceux qui vivaient dans les grottes, et ils laissèrent leurs corps dans les fossés de la route qui menait au carasol. Comme les chiens venaient pour lécher le sang, ils postèrent un des gardes du duc pour les écarter. Personne ne demandait rien. Personne ne comprenait rien. Les gardes civils n’intervenaient pas contre les étrangers.
À l’église, Mosén Millán annonça que le très saint sacrement serait exposé jour et nuit, puis il protesta auprès de don Valeriano, que ces petits messieurs avaient choisi comme maire, parce que les six paysans avaient été tués sans avoir eu le temps de se confesser. Le curé passait ses jours et une partie de ses nuits à prier.»


Ce texte publié en 1953, traduit par Jean-Paul Cortada, est suivi dans ce volume publié par Attila en 2010 (et maintenant disponible au Nouvel Attila) par un deuxième court récit de 1948 traduit par Jean-Pierre Ressot, également sobre et magnifique, «Le Gué», la culpabilité d’une moucharde après la folle dénonciation de son beau-frère, fusillé lui aussi par les franquistes.

MarianneL
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le 25 nov. 2014

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