Une aventure maritime pour retomber en enfance

Imaginez la scène : Horatio Hornblower, capitaine de frégate de la marine anglaise, se retrouve bien mal à l'aise, juché qu'il est sur cette mule maladive. Il faut dire qu'il est d'ordinaire plus souvent amené à fouler expertement le pont de son navire de guerre; des dizaines d'années dans la marine l'ont habitué au roulis et aux tempêtes, la mer n'a plus de secrets pour lui. Mais la mission que lui a confié l'amirauté anglaise l'a contraint à abandonner sa fière Lydia et tous les hommes sous ses ordres au milieu de la lagune qu'il surplombe désormais. Il gravit lentement la pente escarpée d'un volcan qui le mène à la rencontre du chef d'un groupe de rebelles. Nous sommes dans le Panama du début du 19ème siècle, sous contrôle espagnol, et l'environnement, en plus d'être peu familier, n'est pas des plus accueillants. Les volcans alentour crachent feu et fumée sans discontinuer, assombrissant le ciel par intermittence. Les corps de "non-initiés" condamnés à mort par le tyran local se dessèchent au soleil, accrochés à de hauts poteaux le long du chemin qu'il emprunte. L'appréhension grandit à chaque mètre parcouru. Il se retourne; la Lydia n'est plus visible, disparue derrière un promontoire rocailleux. Un palais sommaire se dresse désormais devant lui, résidence de son interlocuteur du jour : que va donc trouver Hornblower et dans quelle aventure va-t-il se retrouver embarqué ?


Ainsi démarre la série des "Captain Hornblower", écrite par C.S. Forester au milieu du 20ème siècle. On suit le protagoniste sur toute sa carrière de marin. En 11 romans, le moussaillon deviendra amiral ! Nous le rejoignons ici, dans le premier roman publié, au milieu de sa carrière : capitaine de frégate. Et une question saute à l'esprit très rapidement : comment peut-il être aussi binaire ? Comment un individu peut être aussi bon marin, aussi fin stratège militaire, aussi charismatique leader d'hommes, et en même temps douter de lui-même en permanence ? Être aussi gauche dans les rapports humains ? Le monologue interne du capitaine, conditionné par le désir majeur de s'élever dans la société britannique, est parfois touchant, souvent plein d'humour (on rit aussi bien de lui qu'avec lui), et toujours impénétrable...


En dehors de ce personnage, en revanche, les autres protagonistes sont relativement plats, décrits avec peu d'empathie. Mais honnêtement, et pour rester poli, on s'en fout un peu : l'intérêt romanesque réside dans la succession d'aventures maritimes que va devoir affronter Hornblower. La navigation sur la côte Pacifique, la frustration induite par les caprices météorologiques, les batailles navales sanglantes, la gestion des ressources nécessaire à de longues traversées...


Au-delà du roman d'aventure au rythme effréné, on est ici également dans la description détaillée du fonctionnement d'un trois-mâts : gréement, armement, gestion des stocks... Je peux comprendre que l'on puisse ne pas se prendre au jeu lorsque plusieurs pages d'affilée décrivent pourquoi et comment le navire doit changer de bord pour s'adapter au vent dominant. Mais cela débouche aussi sur des chapitres complètement loufoques et bizarrement passionnants:


Après avoir subi des dommages sérieux lors d'un affrontement, Hornblower fait vider la Lydia de tout son cargo dans une baie cachée sur une île, après avoir transféré ses canons à des points stratégiques des falaises environnantes. Le navire ainsi sur cales, le charpentier, les spécialistes des voiles, et tous les hommes d'équipages réparent la coque, remplacent un mât détruit avec un tout neuf, et échangent ou rapiècent les voiles percées. Et le tout décrit de manière très dynamique et divertissante.


De mon côté, j'ai complètement adheré.


Il reste que l'on sent bien que le roman fait partie d'une oeuvre bien plus large, la fin n'en est pas vraiment une. Et le dernier quart traîne beaucoup en longueur. Mais je reviendrai vers Hornblower à l'avenir, le personnage est attachant, le rythme est palpitant, et la lecture simple et agréable. Surtout, la lecture m'a rappelé ces nuits où je ne pouvais pas poser mes romans d'aventure quand j'étais gamin, la main en permanence sur l'interrupteur au cas où j'entendais des pas dans l'escalier. Et qui n'aime pas retomber en enfance le temps d'une session de lecture ?

VincentCourson
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le 5 mai 2016

Critique lue 125 fois

Vincent Courson

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