Dans ce quatrième roman, Walter Scott réutilise plusieurs motifs déjà employés dans son tout premier, Waverley, tout en les recomposant différemment pour éviter l’effet de redite.
Ainsi, on a une première partie, prenant bien son temps pour poser les personnages et les enjeux, se déroulant dans le cadre restreint de la demeure d’un parent. Ensuite, on a toute l’Écosse (aussi dans un contexte de révolte jacobite, excepté qu’ici, on est en 1715, alors que pour Waverley, l’ensemble se déroule trente ans plus tard !), non seulement comme décor, mais également comme personnage à part entière. Les descriptions sont généreuses, saisissantes, et donnent l’impression d’un décor réellement vivant. Et, pour finir, on a une conclusion beaucoup trop précipitée, laissant une sensation de déception (je reviendrai sur ce point plus loin !).
Dans la première partie susmentionnée, on a une superbe figure féminine par l’intermédiaire de la jeune Diana Vernon, qui est une belle combinaison entre deux personnages féminins de Waverley, à savoir Flora McIvor, pour son autorité morale et son caractère affirmé, volontiers piquant, et Rose Bradwardine, pour la dimension amoureuse et l’attachement intime au héros. Elle s’impose d’emblée, dégage une vraie énergie, et Scott réussit en quelques scènes à la rendre mémorable.
On a aussi une galerie de personnages secondaires qui l'est presque autant, dont le fameux Rob Roy. Oui, contrairement à ce que laisse penser le titre, ce n’est pas lui le protagoniste de l’histoire. Néanmoins, il y joue un rôle absolument essentiel. Reste que cette figure historique, cette sorte de Robin des Bois des Highlands, mais ayant vraiment existé, est à ce point tellement irréprochable qu’elle en devient lisse (je reviendrai aussi sur ce point plus loin !).
On trouve également une séquence d’exécution qui frappe fortement par sa froideur, sa gratuité et sa cruauté, soulignant la sauvagerie pouvant régner dans ces vastes contrées.
Reste que, comme je l’ai évoqué brièvement à quelques reprises, il y a plusieurs défauts assez dommageables.
Le premier, c’est la fin précipitée. D’ailleurs, ce problème était déjà présent dans Waverley, comme je l’avais laissé entendre. La conclusion est bâclée, expédiée en quelques pages, alors que ce qui y est raconté aurait été assez digne d’intérêt pour être développé sur des dizaines et des dizaines de pages. Ce qui n’est en rien arrangé par le contraste très dérangeant entre la lenteur voulue du début, suivie par les rebondissements bien développés du milieu de l’intrigue, et l’accélération trop brutale sur la fin. Cela a une autre conséquence : Diana avait, par son introduction éclatante dans la première partie, par sa présence constante dans l’esprit du héros dans la deuxième, tout pour être une figure profondément marquante et réussie de la littérature. Or, dans la dernière partie, bien qu’il y ait tout pour qu’elle continue à endosser un rôle d’importance, pour qu’elle continue à incarner — cette fois en chair et en os — l’héroïne amoureuse, elle est hélas réduite à quelques pauvres paragraphes vite expédiés.
Le second — alors je sais que c’est une situation très récurrente dans les romans d’aventure, mais là, on tombe franchement dans l’overdose —, c’est que les personnages ne cessent jamais de se croiser par hasard. Les remarquables descriptions de Scott soulignent l’immensité de l’Écosse. Malheureusement, cette accumulation de facilités narratives donne la sensation que tout ce petit monde évolue dans un périmètre réduit à trois pâtés de maisons.
Le troisième, c’est le héros (et narrateur !), un nommé Frank Osbaldistone. À aucun moment il ne se distingue le moins du monde par la moindre compétence physique ou par la moindre intelligence tactique. Il subit l’essentiel des événements, ne prend que très rarement la plus petite initiative. Les seules fois qu'il le fait (par exemple, en provoquant un duel avec l’antagoniste principal à Glasgow !), il est uniquement guidé par son impulsivité… pour un résultat généralement très médiocre. Et, à l’image de cette scène, il a toujours besoin d’un autre personnage — surtout Rob Roy — pour lui sauver la vie ou pour l’aider à avancer et à atteindre ses objectifs. C’était sûrement une volonté de Walter Scott pour rendre, à côté de cela, la figure de Rob Roy encore plus héroïque, encore plus parfaite. Mais c'est tellement appuyé que ça finit par en être agaçant. Certes, par comparaison, Waverley est un jeune homme veule, naïf, changeant facilement d’opinion selon le discours entendu. Il n’empêche : on le voit, lui, évoluer dans le bon sens. À partir du milieu du roman et sur la fin, il commence sérieusement à s’affirmer, à prendre des décisions par lui-même, à faire preuve de beaucoup plus de lucidité que la plupart des autres personnages, qui apparaissaient pourtant, dans un premier temps, comme plus intelligents. Il y a un aspect « roman d’apprentissage » qui fait que je trouve Waverley supérieur à Rob Roy, amenant, en outre, un plus grand attachement du lecteur envers le protagoniste.
Bref, Rob Roy possède quelques qualités incontestables : deux premières parties sachant prendre leur temps (chacune à leur manière !), dans lesquelles des personnages secondaires sont pour la grande majorité bien croqués (en particulier Diana !), quelques moments bien marquants et une Écosse mise magistralement en avant. Mais le livre est gâché par des défauts trop gênants pour que le plaisir de la lecture n'en soit pas en bonne partie gâché : une fin bien trop précipitée, une figure héroïque, donnant son nom au titre du livre, trop parfaite pour ne pas paraître lisse, et un héros — enfin, si on peut le désigner ainsi —, au mieux, qui attend bêtement que tout lui tombe tout cuit dans le bec, au pire, d'une sottise énervante à force d'agir avant de réfléchir. Je n'ai pas encore lu suffisamment de Walter Scott pour porter le plus petit jugement définitif sur son œuvre entière. En revanche, je pense que je peux d'ores et déjà avancer que si Rob Roy est un des romans les plus connus de son auteur, il n'est pas un de ses meilleurs. En tous les cas, je l'espère…