Boualem Sansal n'est pas un auteur « classique ». Ingénieur de formation, il n'a pas toujours voulu écrire et il aura fallu un sérieux « coup de pouce » d'un ami qui le persuade d'essayer pour que paraisse son premier roman, à 50 ans bien sonnés. C'était en 1999, c'était Le Serment des Barbares et à l'époque ça avait fait pas mal de bruit. Avant ça, il avait publié des livres techniques, et depuis chaque roman a fait parler de lui, tout du moins en Algérie où une bonne partie de son œuvre est censurée pour ses partis pris très critiques envers le gouvernement. En 2003, ce fonctionnaire sera limogé de l'administration.

Malgré ces vexations, il continue (pour mon plus grand bonheur) d'écrire de la fiction dans laquelle il ne mâche pas ses mots, disant tout haut ce que beaucoup d'algériens pensent tout bas à propos de l'attitude de leur pays après la Seconde Guerre Mondiale, à propos de l'Indépendance mais surtout à propos de l'islamisme dont il estime qu'il est très loin de la religion de paix et d'amour que lui a enseigné sa mère.

Dans le Village de l'Allemand, il présentait une vision à mon sens assez lucide des banlieues françaises et il m'avait émue aux larmes en présentant l'histoire de ces deux frères que finalement tout semblait séparer. Dans Rue Darwin, Sansal me fait de nouveau pleurer (il doit avoir des actions chez mon fournisseur de mouchoirs) en évoquant à la fois le destin de son héros, homme mûr qui se sent dépassé par les évènements, la mort de sa mère dont il s'occupait, la dispersion de sa fratrie, mais surtout l'enfance de ce même héros dans l'Alger des années 60 et sa quête pour connaître sa véritable histoire. J'ai été très profondément remuée par ces récits qui se croisent et qui peignent la douleur et l'abnégation, qu'elles soient du côté de la mère ou de celui de l'enfant. L'abnégation de la mère qui s'écarte de son enfant pour qu'il soit heureux, celle de l'enfant qui met sa vie de côté pour accompagner sa mère.

Mais dans ce roman des origines où le narrateur cherche qui il est en observant qui il aurait pu être, Boualem Sansal entremêle des réflexions sur l'Algérie d'aujourd'hui, les islamistes, les moudjahidines ... qui me font douter fortement d'une sortie sur le territoire algérien. Et pourtant, ces réflexions sont salutaires qui cherchent à montrer ce que beaucoup pensent : que les islamistes ne sont pas les musulmans. Et que la plupart des musulmans vomissent les islamistes. Dans ce texte superbe, jamais professoral, Sansal cherche à montrer l'avis d'un « arabe de la rue », d'un algérien pour qui tout ce foin est loin, compliqué, incompréhensible, et j'ai la sensation qu'il tape juste, qu'il pointe précisément la vérité.

Rue Darwin est un texte superbe que j'aurais mis en pile si j'étais encore en librairie. Aujourd'hui je ne peux que demander à mes amis libraires de le promouvoir, mais je n'y manquerai pas.
Ninaintherain
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le 26 mars 2012

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