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Comment passer à côté d’Alain Mabanckou, de ses livres que l’on ne compte plus et qui évoquent tour à tour le Congo-Brazzaville de son enfance, le Paris de sa littérature, l’Amérique de son exode professionnelle ? La voix de ce griot des temps modernes, chaleureuse et façonnée par cet accent dont je ne me suis jamais lassé ; les tenues colorées à outrance qui marquent pourtant un réel raffinement, celui de la Sape, la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes ; la culture et la beauté de l’écriture de celui qui enseigne aujourd’hui la littérature africaine d’expression francophone à l’université de Californie, tout pousse à connaître ou à faire connaître Alain Mabanckou.


Avec Rumeurs d’Amérique, l’auteur tient comme un carnet de notes, de réflexions diverses sur ce qui fait sa vie, son quotidien américain. Il nous raconte ses journées, son appartement qu’on imagine volontiers luxueux dans un immeuble du Mid-Wilshire à Los Angeles, où tous ses voisins sont coréens. De son balcon où il s’est entouré de plantes, il rédige ses notes manuscrites, évoque tour à tour sa précédente université dans le Michigan, la classe à laquelle il enseigne à l’UCLA, ses amis qui viennent lui rendre visite à L.A., ses fils restés à Paris qui ne viennent jamais le voir, l’acquisition de son nouveau chiot, etc.


Il y a une certaine forme de légèreté dans ce quotidien privilégié, de bourgeois bohème d’outre-Atlantique, qui m’a parfois mis mal à l’aise. Bien sûr, Mabanckou évoque rapidement le rejet dont les africains sont victimes de la part des afro-américains, dépeint la violence des gangs, des règlements de comptes entre rappeurs, des tueries de masse qui gangrènent le pays, d’une misère qu’il observe quotidiennement devant la station service de son quartier où là-bas, de l’autre côté du périphérique, à deux pas de son quartier tranquille.


Mais ce rapport à l’argent, cette aisance exhibée m’a parfois gêné : ces deux cents dollars glissés à un ami qui susurre être en difficulté, cette serrure à six cents dollars, ces sandwichs achetés vainement à un mendiant véhément, ces chaussures à trois cents dollars qu’un neveu réclame au pays, cette contravention qu’on règle en faisant un gros chèque au tribunal, était-ce bien nécessaire de s’y alanguir ? Si le récit reste malgré tout intéressant pour sa forme de chroniques intérieures d’un non américain en Amérique, ce regard sur les élections, sur l’épidémie qui commence à toucher le pays dans les dernières pages du récit, sur les désordres qui touchent le pays sont traités avec une apparente nonchalance qui m’a laissé sur ma faim. Pas de quoi gâcher ma lecture, mais une forme de frustration néanmoins.


Rumeurs d’Amérique, d’Alain Mabanckou, a paru le 27 août 2020 aux éditions Plon.

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le 14 nov. 2020

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Brice B

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