Régulièrement je me dis : tu devrais donner un ressenti de lecture sur les derniers livres lus. Et puis, une fois en ligne, je réalise que s'il y a un Silhol dans la pile, c'est le seul pour lequel j'ai véritablement envie de secouer ma paresse. Cette fois-ci : Sacra.


Plus le temps passe, plus les recueils de Léa Silhol deviennent pernicieux, il me semble ! Les liens entre les textes se dévoilent à chaque pas, surlignés au fil d'or, mais formant une nasse implacable. Tout ceci aboutit à un sentiment de familiarité, et la suspension de l'incrédulité est totale. En quelques mesures, la symphonie nous embarque dans une version parallèle du monde qu'on a de plus en plus de mal à tenir pour une fiction. C'est particulièrement vrai ici, tant certains textes ne font que flirter avec les littératures de l'Imaginaire, reliés uniquement à ce genre par l'apparition d'un des éléments de la Trame (l'univers de l'autrice). Ces éléments ou visages connus, alors, provoquent un coup au coeur assez violent pour nous donner l'impression d'un réveil.
Rencontrer à nouveau, ici, des visages que nous n'avions jusque là aperçus que dans les "Contes de la Tisseuse" est une incroyable surprise. La même sensation que de croiser, au détour d'une rue, un ami disparu depuis des décennies.
Il y a au sommaire plusieurs textes déjà publiés, mais pour certains difficilement trouvables (le très onirique "Lithophanie", le splendide "Trois fois") mais aussi nombre d'inédits qui marquent un tournant très excitant vers le réalisme magique, et renforcent les liens entre la Trame et le "monde réel", comme l'enchanteur "Under the Ivy" (dont Kate Bush pourrait être fière, je crois, d'avoir fourni le titre !) qui se déroule en Angleterre au début du XXème siècle, et les faramineuses novellas "Gold" et "Magnificat".
La première, qui nous fait voyager des ateliers de céramique du Japon aux salons des artistes viennois (en en particulier dans l'atelier de Klimt lui-même), en Italie et en Suisse, est un véritable coup de coeur, sans cesse redoublé.
La seconde, "Magnificat", nous embarque de Prague à Venise, et introduit deux pans de "mythologie silholienne" dont on espère qu'ils vont se développer : les nephilim (hybrides d'hommes et d'anges) et les djinn. Simplement fabuleux !
Les deux, chacun à leur façon, sont d'une splendeur presque aveuglante.


La présence d'Isenne, version alternative et sublimée de Venise, s'orchestre pas à pas, presque comme un motif musical qui reviendrait, décliné sur tous les tons, parfois comme un simple coup d'archet de violon, de-ci, de-là, pour exploser ensuite en fabuleux solos au fur et à mesure que nous pénétrons toujours plus avant dans la cité des verriers. Difficile de ne pas tomber sous le charme vénéneux de ces élégants chacals, et de leur mystérieuse cité !


Pour finir, on notera le tribute (officiel) que Silhol rendit à Michael Moorcock et à son fameux Elric de Melniboné. Un bel univers, servi par un style, il faut bien l'avouer, nettement supérieur à celui de l'auteur original ;)


Sacra pourrait n'avoir qu'un seul défaut : c'est un volume I (sur 2), et le bouquin est tellement addictif qu'on pourrait craindre de devoir attendre la suite, même si, dans le cas d'un recueil, c'est sensiblement moins grave que sur un roman. Mais le volume 2 doit sortir dans quelques jours. Et donc, au final... zéro fautes !


Sacra, annoncé il y a bien dix ans, s'est fait longtemps attendre. Si c'est cela qui nous vaut d'avoir deux volumes au lieu d'un, je crois que nous n'y avons rien perdu, au contraire !
Les illustrations de Dorian Machecourt sont une tuerie, en parfaite harmonie avec l'ouvrage. J'attends à présent la version collector pour les découvrir en couleur, et rajouter un trésor de plus à ma bibliothèque. Je ne doute pas de murmurer, au moment de le placer sur l'étagère, "Magnificat... Magnifico !"

Jackalex
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le 18 avr. 2016

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D'autres avis sur Sacra - Parfums d'Isenne et d'ailleurs, op. 1 : Aucun Cœur inhumain

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