Membres de sectes et sous-sectes innombrables, errants ou fixés, adeptes de dieux les plus divers, sans qu'aucune puissance ne s'en offusque (l'absolu immanent peut-il s'irriter des croyances que l'on entretient à son égard ?), ayant tous fait vœux de renoncer aux jeux du monde (kama, artha, dharma : les plaisirs, les richesses, les honneurs, le pouvoir - traduction hâtive et probablement fautive), et s'en accommodant chacun... à sa façon ! Les sadhus ! Escrocs, chercheurs, jouisseurs, saints ! Leur vie nous est peu connue et largement fantasmée.

Patrick Levy soulève une partie de ce voile qu'obscurcissent les récits de pratiques ascétiques extrêmes et de kumbha mehla tumultueuses - ces grands et célèbres rassemblements aux incompréhensibles règles de préséance. On voyage aimablement, le long de trois tranches de récits ordonné chacun comme au fil du Gange : sans qu'une logique supérieure semble en orienter le cours. La trame d'ensemble serait-elle globalement initiatique ? Sans doute. Encore que l'essentiel ne soit pas, précisément, l'initiation du narrateur, prétexte à peintures et autres récits - point d'Occident à partir duquel laisser notre propre regard s'orienter sur ce qui peut motiver ces autres façons d'être, d'agir... et de non-agir.

Athée convaincu, le narrateur a pris ses vœux for moksha (la libération) et peut-être aussi for the lifestyle, le style de vie, on ne sait pas à quel point. Il s'est donné pour maître Anandababa, guru léger comme une plume, rieur comme un coup de vent, grave parfois comme l'orage de mousson, enseignant profond d'un advaïta(*) sans fioritures, surgi sans doute, et du large fond culturel indien, et d'une expérience la plus vivace, quotidienne, permanente. Et l'on se frotte, dessinés sur le vif des rencontres, à des micro-portraits d'hommes pleins de truculence, de raideurs, de libertés, d'orgueils, d'ascétismes héroïques, d'intelligence, d'amour, engagés dans des d'actes d'entraide, de dons sans retour, d'exploitation du tourisme spirituel, de discussions métaphysiques et religieuses et autres gestions d'intendance... rédigé dans un style clair qui nous dit tout ça comme sans y toucher, sans apologie ni cynisme, juste cette ironie légère que les sâdhus semblent eux-même affectionner.

Ce petit ouvrage intelligent et vibrant de vie n'est sans doute à recommander réellement qu'aux amateurs du genre : amoureux de l'Inde ou des voyages, intrigués des pratiques spirituelles ou religieuses, goûteurs d'atmosphères - mais je ne suis pas assez littéraire, et ici trop engagé dans la couleur des émotions que ce texte m'a suscité, pour avoir encore assez de recul sur sa façon stylistique. Des traits, ici ou là, peuvent rappeler l'œil de Bouvier. Rarement gratuite, l'anecdote défait lentement le mirage et laisse entrevoir certains envers de décors. Je me suis pris de vieux coups de bâton de maître zen à m'en dessiller le regard, laissé hilare dans mon haut-lit. Jubilatoire et précieux.

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(*) doctrine de la non-dualité, pour aller vite.
Kliban
9
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le 27 août 2011

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Kliban

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