Résumés succincts des différents sermons prêchés à l'occasion du Carême du Louvre en 1662. Critique évolutive au fil de la lecture.

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1) Sermon pour la purification de la Vierge (chandeleur) : la présentation de NSJC au temple est une préfiguration du sacrifice de la Croix, et porte des leçons pour la vie du chrétien au travers de 3 figures : Siméon, Anne et la très sainte Vierge. a) Siméon représente l'horreur que l'on doit avoir de sa propre vie (par le mépris de la mort et la haine du péché, au contraire de notre inclination naturelle qui tend à aimer le péché et craindre la mort ; et par le mépris de l'inconstance sociale et la recherche de la constance spirituelle dans NSJC). Il représente ainsi le sacrifice de la vie. b) Anne représente le détachement que l'on doit avoir des choses sensibles et notamment des plaisirs des sens (figure de la pénitence), et représente ainsi le véritable ordre préternaturel que nous avons perdu : le plaisir spirituel est supérieur au plaisir sensuel, et notre corps était lui-même fait pour être une chair spirituelle et non une chair sensible, puisque nous procédons de l'Esprit. Le péché originel a inversé cet ordre, et nous fait préférer la sensualité au plaisir spirituel du détachement de la chair. C'est seulement ainsi que nous retrouverons le commandement et l'autorité de notre raison. Anne représente le sacrifice de la chair. c) La très sainte Vierge représente, enfin, la liberté dans la soumission à Dieu, le sacrifice de la liberté de l'esprit (aussi appelée indépendance). Retour sur les souffrances de la Vierge lors de cette présentation au Temple (sait qu'elle endurera toutes les morts sans savoir quand ni lesquelles), et sur ses actions en accord avec la volonté de Dieu. Représente la façon dont chaque chrétien doit se soumettre à la volonté de Dieu : par les actions et par l'endurance des croix. Conclusion du sermon sur la nécessité, pendant le Carême, de sacrifier ce que nous avons de plus précieux à Dieu, en pleine confiance, car Il nous le rendra ; rappel que plus nous sommes "indépendants" sur la Terre (i.e. responsables, pouvoirs), plus nous sommes dépendants de Dieu et dans sa soumission.

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2) Sermon sur la prédication évangélique (1er dimanche de Carême) : Dieu s'est peut-être caché aux hommes, mais n'a pas cessé de leur parler, en son exemple illustre du Christ. Le carême est le moment privilégié pour écouter cette "voix paternelle" par l'intermédiaire des sermons du prêtre. Il y a 3 utilités à la prédication évangélique : a) faire connaître l'évangile aux hommes ne connaissant pas la vérité, car Dieu ne veut pas laisser les hommes dans l'erreur. La loi de Dieu est désignée tantôt par "commandement", tantôt par "conseil", càd une nécessité ou un avantage, en fonction de l'interlocuteur et du siècle. Manière de préparer les chrétiens au jugement dernier, de façon à ce que personne ne pût dire qu'il ne savait pas. L'ignorance de la vérité est plus fréquente chez les hommes riches et élevés (la Cour) que chez les pauvres, car plus de défauts allant contre la foi et plus de tentation à entendre des prédications libertines ou impies. Le monde corrompt insensiblement, comme un poison lent, qui s'insinue dans les esprits, les moeurs et le langage : il divise artificiellement les "mauvais vices" des "vices des honnêtes gens", divise donc le Christ et fait oublier la vérité de sa parole, qui doit d'abord pénétrer les oreilles avant de pénétrer les coeurs. b) Faire penser à l'évangile aux hommes qui n'y pensent pas, et ce faisant leur rappeler la vérité et les toucher. Opposition entre la science des choses de ce monde et la science des choses divines. Les hommes ne savent pas ce qu'ils savent, et oublient qu'ils ne peuvent ontologiquement pas savoir en pleine lumière les choses divines, et ce en raison de la nature même de l'esprit humain, oublieux. D'où la prédication évangélique, qui fait résonner dans chacun des hommes des vérités apparemment éloignées des sens, mais qui peuvent se rapporter à l'une de nos blessures particulières. Ainsi, quand nous entendons, au hasard d'une prédication, une vérité qui semble nous toucher, c'est que le Christ nous parle directement et nous invite à faire pénitence. c) Ramener dans le giron de la vérité les hommes qui ne sont pas touchés par l'évangile, en excitant leurs désirs. Pourquoi la prédication évangélique, si pleine de vérités, est à ce point inefficace ? Parce que les hommes la prennent ou comme une "habitude" ou comme un "entretien agréable". Pourtant, la prédication évangélique est une continuation de la prédication du Christ, et un instrument de grâce, de même que les paroles rituelles et sanctifiantes présentes partout dans les églises. Attitude fréquente du chrétien : plein de résolutions pendant la prédication, mais abandon rapide au moment où il faut mener le combat contre le mal. Pourtant, la parole du Christ veut une efficace.

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3) Sermon du mauvais riche (jeudi après le deuxième dimanche de carême) : autour de l'Evangile du jeudi, opposant l'homme riche (appelé aussi "homme du monde") à Lazare dans leur vie et dans leur mort. Montrer la continuité entre la vie et la mort, et plus encore, la façon dont la mort témoigne/synthétise/donne sens à la vie menée. La vie est une préparation à la mort. Ce mauvais riche est ainsi l'image de : a) L'attachement excessif aux bien du monde : même traitement pour le riche et le pauvre, car la possession ne guérit pas l'avarice ou l'indigence, mais l'accroit (comparaison avec la racine des cheveux : chaque cheveu (i.e. chaque bien) est enraciné dans notre âme, et nous fait mal quand il est "tiré"/nous est retiré). Mais notre mauvais riche n'a pas de plaisirs illicites, au contraire, il s'est attaché uniquement aux choses permises (délicatesse et bonne chère) : c'est cet attachement excessif à ce qui n'est pas mauvais en soi qui nous conduit petit à petit jusqu'au débordement de la liberté, la licence, parce qu'on ne sait pas s'imposer de limites. Il faut ainsi modérer l'usage des choses permises pour ne pas s'y attacher. Cet attachement aux choses permises nous illusionne nous-mêmes sur notre vertu, tout simplement parce que nous nous abstenons d'autres vices : or, c'est un double péché (le propre et un péché d'orgueil/d'impunité) qui nous fait oublier Dieu et la mort. Car la mort n'enlève pas tous les excès et ne provoque pas un détachement miraculeux. Bossuet se méfie des conversions des mourants, conversions "de bouche" et non "de conscience", par crainte, par facilité, par obligation. b) L'affairement perpétuel (sens propre : être dans les affaires) : les hommes du monde négligent la grande affaire, celle du salut, et se perdent dans les affaires du monde, à cause de leur prétention (i.e. : leur orgueil qui les pousse à s'engager) et de leur inquiétude (i.e. : un trait de caractère particulier qui pousse les hommes à aimer et désirer cet affairement). S'ensuit un cercle vicieux : les affaires se facilitent toujours à mesure que l'on s'y engage, car l'on a plus d'expérience et de moyens. Il y aussi impossibilité de s'arrêter, même quand, apparemment, il n'y a plus d'occasion : le monde est certes limité en biens, mais n'est pas limité en promesses, et les hommes de cour marchent à la promesse et savent attendre. Explication anthropologique du besoin d'affairement : la vie est action, mais les hommes du monde négligent l'action de l'âme au détriment de l'action vaine/agitation qui ne laisse jamais à l'âme un moment de repos. Or, le véritable empressement à avoir est celui du salut, qui viendra de façon inopinée, inattendue, et qui requiert une véritable préparation. c) La cruauté envers le juste et le pauvre : il n'y, a priori, pas de rapport logique entre le goût des plaisirs/de la volupté et la cruauté/l'injustice, mais c'est comme un buisson épineux, dont la racine est douce, mais qui croît en poussant des épines. La racine de l'amour de soi et des plaisirs est viciée, et conduit insensiblement à l'absence de charité. Opposition entre le pauvre extérieur et le pauvre intérieur ("pauvre de Jésus-Christ") : le premier ne réclame que les miettes de la prodigalité, tandis que le second réclame sans cesse de nouveaux biens. Il épuise ainsi tout le fonds charitable de l'homme de cour. L'homme de cour ne pense pas nécessairement à mal, mais l'habitude de la félicité a rendu son coeur insensible à ce que Bossuet appelle "l'esprit du christianisme", en opposition à "l'esprit du monde". Or, au moment de la mort, ces "pauvres intérieurs" ne seront pas de vrais amis secourables, car l'homme de cour, alors, ne sera pas en état d'assouvir leurs besoins. Au contraire, les "pauvres extérieurs" auraient été de véritables amis, par la réciprocité inhérente à la charité.

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4) Sermon sur la providence : anecdote de l’histoire sainte, destruction d’une forteresse ennemie pour en rebâtir deux et fortifier une frontière. Bossuet souhaite faire de même avec les libertins, qui s’attachent à montrer qu’il n’y a pas de providence (pro-videre) en raison des inégalités et injustices du monde mal réparties entre les bons et les méchants. Bossuet veut répondre à ceci en prouvant qu’il y a bien une « sublime politique qui régit toute la nature », en montrant que : a) L’apparent désordre prouve qu’il y a un ordre supérieur immuable. Comparaison avec l’anamorphose : tel tableau semble à première vue être fait de la main d’un enfant, qui, en ajustant sa perspective, et en trouvant « le point », devient un chef-d’oeuvre plein de sens. Image de la Création : le point, c’est Jésus-Christ, qui éclaire les mystères de la Création. Dieu veut nous montrer, car celui lui a plu (Gn), la beauté de sa création, mais pas en entier : il nous garde volontairement dans l’attente de l’éternité, où tout sera révélé, et où toutes les iniquités seront réparées. Les inégalités existent dans la Création (ordre naturel), et également dans l’ordre social : ainsi la fleur ne vit qu’un jour et le chêne des siècles. Mais chaque être vivant a sa grâce particulière : la fleur éphémère est plus belle que tous les ornements. Dieu n’oublie pas la création qu’il a faite à son image (nous) : mais comme il nous destine à l’éternité, à le rejoindre lui, le « point » de cet ordonnancement ne peut pas apparaître dans une temporalité humaine. Sur l’inégalité de répartition des biens et des maux : référence au psalmiste qui distingue 3 coupes de vin (vin pur, vin mêlé, la lie). Image de la condition de l’homme : nous sommes dans les temps du mélange, où nous devons ou mériter le vin pur ou souffrir la lie lors du « discernement » final de Dieu. Il y a des maux que nous pouvons transformer en biens et inversement : la maladie peut être sanctifiante, et la santé peut être corrompue. Evangile du mauvais riche : Lazare souffre et l’homme jouit (temps mêlés) ; situation inverse dans l’éternité (vin pur et lie). b) Qu’il y a une bonne façon de se conduire par rapport à la providence : d’abord, ne rien admirer de ce monde, car tout bien est éphémère. Passage intéressant sur la petitesse des règnes humains, et sur l’égalité future entre souverains et sujets dans la vision béatifique de Dieu. Ensuite, ne rien craindre de ce qui se passe dans la vie actuelle : la crainte est le propre de ceux qui s’attachent aux « causes particulières », qui, du point de vue métaphysique, s’entrechoquent nécessairement entre elles (tel intérêt particulier est contradictoire avec tel autre, etc.). Le chrétien doit regarder la « cause première », le plan de Dieu immanquablement parfait et sans contradiction. Les biens sont l’occasion de louer Dieu, et les épreuves de se sanctifier. Les hommes du monde qui semblent prospérer sont comparés à des « herbes rampantes », et les hommes humbles qui souffrent à un « arbre fruitier » : celui-ci a perdu son feuillage pendant l’hiver et souffre les mépris des herbes, mais viendra le temps de l’été où les mauvaises herbes seront arrachées et l’arbre donnera de beaux fruits.

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5) Sermon sur l'ambition : sur la fin de l'évangile du 4e dimanche de Carême, lorsque NSJC se retire seul sur la montagne en anticipant la Pâque à venir. Signe que le devoir du Chrétien est de réprimer son ambition (NSJC aurait pu ne pas se laisser livrer). Parallélisme avec la Cour : elle ne peut rien pour le salut du Chrétien, qui doit se détourner de la fortune. Opposition constance dans le sermon entre "les biens de fortune" et "les biens de l'éternité". Le découpage du sermon n'est pas aussi fluide que d'habitude. a) La fortune n'est pas à désirer même quand elle nous est profitable. La fortune offre la puissance aux hommes (sens classique : la capacité à pouvoir). Opposition empruntée à saint Augustin entre "posse quod velit" (pouvoir ce qu'on veut) et "velle quod oportet" (vouloir ce qu'il faut). Le chrétien doit apprendre à vouloir ce qu'il faut, et non à pouvoir ce qu'il veut : quand on ne peut pas ce qu'on veut, c'est que des événements concrets (qui ne dépendent pas de nous) nous en empêchent ; mais quand on ne veut pas ce qu'il faut, c'est ce que notre esprit est vicié (péché). Exemple de Pilate : grande puissance reçue par la fortune, mais n'a pas voulu ce qu'il fallait ce qui l'a conduit au déicide. La grande puissance se retourne contre nous si la volonté n'est pas ordonnée. La puissance la plus grande dans ce monde est celle de tuer un autre homme (dominer les hommes) ; or, cette puissance n'est, somme toute, pas bien difficile à acquérir. A l'inverse, la puissance de régler notre vie et d'imiter NSJC est plus difficile bien que moins glorieuse en apparence. Saint Augustin dit qu'il faut avoir une puissance "pour nous-mêmes contre nous-mêmes". En ne nous dominant pas, nous devenons l'esclave de nous-mêmes, de nos passions et vices : "Nous gémissons quand on lie nos mains, et nous portons sans peine ces fers invisibles dans lesquels nos coeurs sont enchaînés !". Pour guérir cette volonté malade, il faut ôter la puissance : en ne désirant plus rien d'immodéré, nous tournons notre volonté naturellement vers la vertu. Bossuet répond ensuite à l'argument des ambitieux selon lequel il faut se distinguer pour faire reconnaître son génie : la vraie distinction est celle de la vertu, qui ne fait pas d'éclat, qui est lente, et qui se construit tout au long d'une vie. Ces mêmes ambitieux peuvent avoir de bonnes intentions (réformer l'Eglise, censurer les moeurs etc.), mais, une fois aux postes de pouvoir, constatent que la réalité n'avance pas à leur rythme effréné. Image du fleuve pour illustrer cette opposition dans les chemins de la distinction : le fleuve coule paisiblement dans son lit et nourrit la nature ; il n'a pas besoin de déborder ni de causer des dégâts pour faire le bien autour de lui. b) Les biens que nous recevons de la fortune sont en fait le signe d'une trahison à venir : elle nous rend captifs en nous faisant devenir illustres, mais c'est pour mieux nous voir nous effondrer. Référence indirecte à Fouqué, établi dans toute sa grandeur et méprisant les petits, puis tombé en disgrâce. Référence à Ezechiel, au sujet d'un homme appelé Assur, comparé à un "cèdre du Liban" (image de la grandeur) qui finira par s'effondrer. Bossuet entrecoupe les citations (approximatives), traductions, et commentaires de ce passage, pour développer son unique idée : il faut rechercher l'ambition du salut/du ciel, et non de la fortune pour ne pas devenir "un tronc inutile". Goût final de la polémique, en anticipant les réponses qu'on pourrait lui faire (inoculation theory). Conclusion : l'avidité du désir est naturelle à l'homme, et il l'attache à des choses qu'il aime. Or, quand nous aimons quelque chose, nous voulons qu'elle dure toujours. Mais les biens de fortune sont par essence périssables, contrairement à Dieu. "Ô homme, désabuse-toi : si tu aimes l'éternité, cherche-la donc en elle-même, et ne crois pas pouvoir appliquer sa consistance inébranlable à cette eau qui passe et à ce sable mouvant."

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6) Sermon sur la mort : prêché à l'occasion de l'évangile du vendredi de la 4e semaine de Carême (et non le mercredi comme l'indique l'édition de référence), au sujet de la résurrection de Lazare. "Domine, veni et vide" : pour le Christ pour comme Bossuet, il s'agit de faire voir ce qu'est réellement l'homme en méditant sur la mort. Les hommes, oublieux et orgueilleux, ne savent pas ce qu'est leur substance, et c'est la mort qui la leur révèle en tant qu'elle sépare l'âme du corps. Ainsi, la mort nous enseigne que : a) L'homme est méprisable en tant qu'il est éphémère. Développements typiquement baroques sur la brièveté de la vie ; l'âge ne compte pas puisque la mort efface tout d'un trait ; les générations s'enchaînent et remplacent les précédentes ; le passé a été fait fait sans nous et le futur sera fait sans nous également. "Que j'occupe peu de place dans cet abîme immense du temps !". ; la nature nous rappelle constamment à notre condition de mortel ; la vie ressemble à un songe dans lequel nous croyons avoir une place, alors que "la pièce n'en aurait pas été moins jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre". b) L'homme est estimable en tant qu'il est destiné à l'éternité. Développement sur l'arraisonnement de la nature par les hommes : les progrès scientifiques et techniques, l'industrie, les sciences naturelles, la physique, et même l'art en tant qu'"embellissement de la nature". Tout cet arraisonnement est possible parce qu'il existe dans l'homme une parcelle de la nature divine qui cherche à accomplir sa première vocation : être le chef de la Création. Comparaison typique entre Dieu et un architecte, et entre l'homme et un ouvrier. Si l'home parvient à améliorer la Création, à l'embellir, c'est qu'il dispose d'une portion de "cet Esprit ouvrier qui a fait le monde". Sur l'homme fait à l'image de Dieu : Bossuet admire que l'âme, à travers les siècles, ait constamment réussi à mépriser le corps en l'incitant à se sacrifier pour une noble cause, à faire preuve de courage en souhait endurer les pires tourments. Le sens du devoir est ainsi une autre preuve de notre destination à l'Eternité. Bossuet reprend également l'une des preuves thomistes de l'existence de Dieu : si nous ne sommes que pure matière, comment pouvons-nous concevoir un pur Esprit ? Nous avons l'idée de Dieu et du Bien, donc nous sommes faits à l'image de Dieu qui est pure connaissance de soi. Mais la nature a bien été corrompue par le péché originel, ce qui fait qu'elle présente aussi ses irrégularités, ses dangers, ses imperfections, puisqu'elle a été façonnée par des hommes souvent oublieux de Dieu. C'est ce dernier point qui nous fait redouter le plus "la tyrannie de la mort", car nous pensons avoir construit une nature qui nous est propre. Mais NSJC vient réparer notre nature blessée et nous redonner la grâce d'une vie éternelle, de notre première destination. "Ô âme, console toi : si ce divin architecte, qui a entrepris de te réparer, laisse tomber pièce à pièce ce vieux bâtiment de ton corps, c'est qu'il veut te le rendre en meilleur état, c'est qu'il veut le rebâtir dans un meilleur ordre." Il ne faut pas ainsi s'arrêter au constat de la médecine, qui fait du vieillissement une conséquence naturelle du corps, mais y ajouter la foi, et croire que la corruption de la chair est une nécessité peccamineuse, qu'elle nous vient du péché originel, et qu'elle est ainsi le signe que nous aurons un nouveau corps pur au moment de la résurrection. La mort est donc entièrement souhaitable.

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7) Sermons sur l'efficacité de la pénitence (prêché lors du premier dimanche de la Passion, au sujet de l'évangile du jeudi de la Passion).

Suite de 3 sermons portant sur le même évangile, dans lequel "une femme", supposément Marie-Madeleine (MM), lave, embrasse et oint les pieds du Christ lorsqu'il est invité à manger chez un pharisien (Luc, 7). MM est un modèle de pénitence. Bossuet remarque que la plupart des pécheurs s'imaginent avoir assez de force pour retourner dans les grâces de Dieu une fois qu'ils ont commencé à s'éloigner de sa loi ; mais l'habitude du péché casse cette facilité de conversion (sens propre, se tourner vers), si bien que les pécheurs finissent pas désespérer devant l'impossibilité de revenir sous le giron de Dieu. C'est précisément à ce moment-là de désespoir que les pécheurs tombent le plus irrémédiablement dans des péchés plus graves encore. Or, MM permet de penser qu'une conversion est toujours possible, à deux conditions selon saint Augustin : qu'elle soit mue par une force/puissance intérieure, et que la finalité soit plaisante. Or, devant le péché, on se sent souvent démuni, et, plus vicieux encore, le souhait d'une vie remplie de grâce n'est souvent pas aussi attrayant qu'une vie de péchés... La pénitence permet ainsi de donner la force et le plaisir de la conversion aux pécheurs.

a) La conversion doit être mue par une force intérieure que nous possédons déjà. Tout coupable a ses raisons : nous cherchons en permanence à nous justifier de la nécessité de notre péché. "Ce n'est jamais notre choix, ni notre dépravation volontaire, c'est un vent impétueux, c'est une force majeure, c'est une passion violente, à laquelle quand nous sommes laissé dominer longtemps, nous sommes bien aises de croire qu'elle est invincible." Mais on ne peut pas raisonner moralement le pécheur encroûté dans ces habitudes, car, précisément, on lui donnerait raison : la morale catholique est trop difficile, demande l'impossible, ne prend pas en compte les cas particuliers etc. Pour le motiver, il faut créer des conditions nécessitantes : quand un ennemi plus fort nous poursuit, nous fuyons par nécessité ; quand un grand de ce monde passe près de nous, nous arrêtons provisoirement nos péchés. Bossuet découvre le sur-moi : "Il y a donc en nos âmes une faculté supérieure qui, étant mise en usage, pourrait réprimer nos inclinations, toutes-puissantes quand on se néglige." Cette force contraignante, les courtisans en font un usage quotidien ; la vie de Cour habitue les hommes à cette contrainte intérieure.

Magnifique passage sur les vertus paradoxales de la Cour : "Mais sans chercher bien loin des raisons, je ne veux que la vie de la cour pour faire voir aux hommes qu'ils se peuvent vaincre. Qu'est-ce que la vie de la cour ? Faire céder toutes ses passions au désir de faire sa fortune. Qu'est-ce que la vie de la cour ? Dissimuler tout ce qui déplait et souffrir tout ce qui offense, pour agréer à qui nous voulons. Qu'est-ce que la vie de la cour ? Etudier sans cesse la volonté d'autrui, et renoncer, s'il est nécessaire, à nos plus chères inclinations. Qui ne le fait pas, ne sait point la cour : qui ne se façonne point à cette souplesse, c'est un esprit rude et maladroit, qui n'est propre ni pour la fortune ni pour le grand monde. Chrétiens, après cette expérience, saint Paul va proposer de la part de Dieu une condition bien équitable : ''Comme vous vous êtes rendus les esclaves de l'iniquité et des désirs séculiers, en la même sorte, rendez-vous esclaves de la sainteté et de la justice.''"

Nous ne prêtons ainsi qu'à la vie spirituelle cette impossibilité, alors que nous mettons tout en oeuvre sur terre pour les biens matériels. Bossuet anticipe la réponse des pécheurs : il est plus facile de se détourner d'une passion sensible, car nous pouvons la remplacer par une autre passion sensible, alors que la vie spirituelle est invisible et n'a pas les attraits immédiats des passions. Bossuet reprend ici la dialectique raison/passion, et compare cette situation à un serviteur qui aurait plus d'autorité sur les autres serviteurs que le maître. La raison s'est fait esclave des volontés et des passions sensibles ; elle est "une reine dépouillée". Pour retrouver ses prérogatives, une seule solution : se tourner vers Jésus-Christ, comme MM. C'est lui qui donnera cette force, cet attrait (érotique au sens propre) nécessaire à lui être soumis. C'est le secours de la grâce qui nous aidera, à condition que nous fassions le premier pas.

b) La vie de la grâce est plaisante. L'habitude de la vie de péché est comparable à l'idolâtrie : nous pleurons et pensons notre existence détruite quand on nous force à renoncer à cette vie de sensualité. Or, c'est une disposition intérieure qui doit changer, et non la totalité de notre vie. Tendance donc à exagérer la difficulté. "Ainsi les pécheurs, accoutumés à se servir de leurs biens pour contenter leur humeur et leurs passions, se persuadent que tout leur échappe, si cet usage leur manque. [...] Cette vie réglée leur semble une mort." Pour Bossuet, il s'agit d'une maladie, qui, comme toute maladie, finit par guérir et faire retrouver aux anciens malades la "normalité" de la situation saine. Pour guérir, il faut se souvenir que NSJC est venu pour se faire aimer, donc désirer, et donc proposer une vie désirable ! "Cessez d'admirer cette eau trouble que vous voyez sortir d'une source si corrompue. Levez les yeux, voyez cette fontaine si claire et si vive qui arrose, qui rafraichit, qui enivre la Jérusalem céleste." Comparaison de ce désir avec le nourrisson qui tête la mamelle (tout lui suffit), et avec MM qui se jette aux pieds du Seigneur et se réconforte dans les larmes. Ces larmes sont, justement, celles de la pénitence, un mélange de larmes de tristesse et de larmes de joie : tristesse parce que la pénitence nous force à détruire notre précédente disposition intérieure, et joie parce qu'elle reconstruit en nous le temple de Dieu. Ce temple devient le refuge du chrétien : "Elle se réjouit parmi ses larmes ; elle voit qu'elle trouvera dans l'asile d'une bonne conscience une retraite bien assurée, que nulle violence ne peut forcer : si bien qu'elle peut sans crainte y retirer ses pensées, y déposer ses trésors, y reposer ses inquiétudes, et, quand tout l'univers serait ébranlé, y vivre tranquille et paisible à l'abri d'une bonne conscience et sous les ailes du Dieu qui y préside."

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PierrePoissant
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le 23 févr. 2024

Modifiée

le 14 mars 2024

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