Je m’étonne toujours de ce que Houellebecq soit la coqueluche du petit monde littéraire tant il prend à rebours cette élite culturelle qui l’adule. Les belles gens seront comblées avec ce nouvel opus qui les égratigne allègrement et s’inscrit dans une continuité parfaite avec les précédents.
Houellebecq s’est certes quelque peu éloigné de la neutralité stylistique dont il avait fait une quasi-profession de foi, il s’autorise désormais – toujours discrètement – le travail de la formule, lui insuffle de l’émotion et de la musicalité. Mais le lecteur se retrouvera rapidement à évoluer dans les sentiers bien balisés de la faune Houellebecquienne, il retrouvera même très distinctement le produit de thématiques qu’il avait précédemment égrené : elles ont désormais pris forme et s’animent dans un esprit systémique.

Florent le anti-héro, personnage médiocre en proie à des problèmes sexuels, est tellement caractéristique de l’auteur. Après un démarrage à bon rythme, teinté de perversité et d’humour noir, l’on comprend bien vite que lorsque Florent se met en rupture avec la vie, il entame un processus de déshérence qui ne pourra être qu’un voyage sans retour.
Abécédaire de comme rater sa vie, ou plutôt passer à côté, anatomie du remord, et surtout autopsie du temps, notion qui sous-tend le roman de bout-en-bout.

L’individu chute dans le temps. Un processus linéaire d’accumulation de regrets ; la vie comme un amas d’opportunités manquées et de choix erronés, comme fardeau qui appesantit parallèlement à la perte progressive d’énergie vitale. Gagner en âge c’est la diminution de la somme des possibles (cercle d’amis qui se rétrécit, libido qui décroit, volonté de changer les choses à son travail), une mécanique sinistre d’essoufflement et d’amenuisement qui porte au bord du précipice, là où l’heure du bilan sonnera et le constat de l’échec ne pourra plus être occulté.

Vieillir c’est sortir de la marche du monde. Florent continue de s’émerveiller sur un solo de Dire Straits jusqu’à retrouver sa fouge juvénile, tout en étant parfaitement étanche et inapte à la contemporanéité. Il comprend mieux que personne la société d’aujourd’hui mais il a vécu et a perdu toute adhérence avec cette dernière. Le sens de l’histoire l’a écarté sur ses bas-côtés et il assiste à sa poursuite au loin, comme abandonné.

Rien à ne sert de se raccrocher à la voiture, elle est vermoulue et son emballement ne saurait masquer son agonie et sa laideur. Jamais le dégoût de Houellebecq pour la post-modernité ne s’était fait aussi criant.
La capitulation que vit le personnage, et de manière plus tragique et incandescente son ami Aymeric, fait échos au monde qui l’entoure. Une société à bout de souffle qui s’effondre par morceaux sous l’effet de son propre poids, produisant normes kafkaïennes et systèmes ubuesques : autant d’avatars de la dégénérescence. C’est le chant du cygne, le prélude à la décomposition de l’occident, et la résistance est futile.

La zone de replis, le « safe-space », la bulle d’oxygène, le refuge dans cet océan de hideur c’est le couple. Il est l’espace exclusif dans lequel 2 personnes vont pouvoir se retrouver, partager des plaisirs simples, des moments anodins (Camille dans le marché) qui contrastent en cris de révolte face à un progressisme délirant (l’homosexualité comme norme), tellement égaré par rapport aux lois naturelles (« valeur sélective », sacrifice de la progéniture chez les cerfs, lions et macaques du brésil).

Houellebecq est en fait un grand romantique. L’histoire amoureuse est pour lui la seule raison de vivre. Le couple est pour lui la seule entité permettant à l’homme d’échapper à l’absurdité et la laideur d’un monde post-moderne devenu fou.

Sur ce point je voudrais adresser à Houellebecq une contradiction fondamentale qui pour moi relève de la naïveté voire de l’immaturité.

Houellebecq vomit à l'échelle entière du roman sur la post-modernité dont il écorne méthodiquement chacun des aspects (féminisme, écologisme, capitalisme, consumérisme, individualisme, relativisme culturel, société du loisir, etc.), mais à aucun moment il ne remet en question le concept de « droit au bonheur » qu’elle propose pourtant universellement.
Florent s’inscrit totalement dans la folle quête totale du bonheur sans concession que lui vend son époque. Il ne fera que constater son échec dans sa poursuite, mais à aucun moment il ne remettra en cause sa légitimité en premier lieu, alors qu'il s'agit sans doute encore d'une autre escroquerie moderne. Le suicide de Florent c’est en fait le refus du renoncement à la promesse de lendemains qui chantent.

Mieux, ce postulat que l’Amour est la grande matrice et but absolu n’est reste pas moins terriblement contemporain. Aucun totem n’est plus grand aujourd’hui que celui de l’Amour, c’est la valeur ultime. A aucun moment Houellebecq n'envisage que l’épanouissement passe par autre chose que l’amour. A aucun moment il n'appréhende le couple sous son acception traditionnelle, c’est-à-dire comme matrice du foyer, de la progéniture et de la famille comme source d’épanouissement.
Sans compter que rien ne dit que Florent eut été heureux avec Camille, mais cela pas instant il ne vient en douter.
Malgré tout le mépris que peut susciter le monde moderne chez Houellebecq/Florent, il n'en reste pas moins un enfant de son époque car jamais il ne remettra en cause sa proposition la plus fondamentale, celle d’une promesse naïve d'un amour idéal. Pas si réac Houellebecq.

dikiz
8
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le 2 mars 2019

Critique lue 230 fois

dikiz

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