"Si ça saigne" est un recueil de 4 novellas (format volé aux anglais entre le roman et la nouvelle), de fantastique, écrit par Stephen King. Si décidément le bougre n'est plus à présenter, son attrait pour des formes littéraires très diverses non plus. Il nous a garnis, toute sa carrière pour notre plus grand plaisir, de recueils de nouvelles en tout genre. Il n'en est pas non plus à son premier coup d'essai avec ce format "hybride": en témoignent "Différentes Saisons" ou "Minuit 2 / Minuit 4". Et c'est sincèrement un type de texte que j'apprécie particulièrement: cela reprend certains éléments incisifs de la nouvelle sans ce sentiment de brièveté, en demandant néanmoins un gage moindre pour le lecteur qu'un roman plus classique. Bon, le but est pas de parler de la novella, on ne la découvre pas aujourd'hui, mais c'est à noter pour une fois...
Que vaut donc "Si ça saigne"? C'est excellent, comme souvent, faisant la part belle à des récits intimistes et bien loin de l'horreur promise encore et encore.
"Le Téléphone de M. Harrigan" met en scène la relation touchante entre un jeune garçon et son "ami", beaucoup plus âgé, à qui il fait la lecture. Le jour où Craig offre un tout nouveau téléphone au vieux monsieur (un des premiers Iphone), leur amitié va prendre un virage inattendu qui aura des conséquences au très long terme. Finalement peu horrifique dans son traitement (ça aurait pu), le récit a une espèce d'aura nostalgique qui fait du bien à lire. C'est très probablement dégagé par la douceur de King pour ses personnages et son récit qui, s'il est à coup sûr fantastique et parfois macabre, n'en demeure une belle histoire.
"La Vie de Chuck" est un récit magnifique qui pour le coup détonne dans la bibliographie de Stephen King. Notre vieux conteur du Maine ne bascule que rarement dans une verve aussi poétique et métaphorique pour servir une histoire. C'est bien dommage, puisqu'on est désormais convaincus que ça marche. C'est une très belle histoire, touchant en plus à un thème / une idée me tenant à coeur (résumée effectivement par W. WHITMAN: "Je suis vaste. Je contiens des multitudes."). Evidemment ici, il conviendra de se laisser porter, de ne volontairement pas accommoder sur les détails, et d'essayer de ressentir la plus grande histoire... C'est magnifique et inattendu.
"Si ça saigne" est le plus long récit du recueil et reprend le personnage de Holly Gibney. N'ayant pas lu la trilogie de Bill Hodges, je ne la connais que par ma lecture (assez récente) de "L'outsider" où avouons-le, elle ne m'avait pas fait très forte impression... C'est chose corrigée avec cette nouvelle. Là encore, on est très loin d'un simple récit horrifique. Si l'idée de base (certains journalistes sont toujours très rapidement sur les lieux de catastrophe ou crime et c'est suspicieux) est plutôt délicieuse, et l'enquête autour de cette nouvelle forme "d'outsider" très excitante, King développe ici un personnage extrêmement touchant. Holly Gibney, elle aussi, contient des multitudes, et quel plaisir de la suivre. Tant dans sa narration que dans sa façon d'aborder le monde, c'est encore une grande réussite du King prouvant qu'il est encore le maître pour asseoir des personnages plus vrais que nature.
"Rat" pourrait probablement passer pour la nouvelle la plus "faible", mais c'est encore une fois purement relatif, c'est-à-dire à mettre en perspective des excellents récits l'ayant précédé. Et malgré cette constatation, on a quand même une histoire très agréable à suivre (celle d'un écrivain aux frontières de la folie lorsqu'il tâche d'écrire un roman, qui s'isole dans un chalet qui malheureusement connaîtra l'une des pires tempêtes de la région...). Dès que King commence à parler du processus créatif, c'est réussi et ce de façon général. C'est pourquoi j'adore ses récits dont le protagoniste est écrivain: King sait faire imaginer les angoisses du bon mot, de la bonne histoire, du syndrome de l'imposteur...
"Si ça saigne" est donc un excellent ouvrage de Stephen King.
Je le trouve à bien des égards bien plus tranché que ses deux derniers romans ("L'outsider" et "L'institut", pas mauvais mais peinant à vraiment extasier le lecteur... Quoi que, "L'institut" était quand même vraiment sympa...).
Les quatre histoires valent le détour et brillent toutes d'une espèce de "nostalgie" et de "douceur" qui me touche particulièrement et suffit généralement à me contenter (plus, même, que les célèbres ressorts fantastiques de Stephen King...).
Alors, lisez, lisez, lisez.
38% des français assurent ne pas lire du tout à la dernière enquête. Puisse ce genre de bouquins leur tomber dans les mains.