Silence
7.4
Silence

livre de Shūsaku Endō (1966)

Il va être difficile pour moi de critiquer ce livre et ce pour deux raisons. D'une part parce que j'ai toujours été plus apte à mettre des mots sur des images et à transformer les mots en images. Parler de mots avec des mots, je trouve ça complexe. D'une autre part, le livre est simple dans sa forme mais le fond est difficile et très dur à digérer. Le livre réveille en nous des questionnements profonds et qui n'auront sans doute jamais de réponses définitives.


Alors par quoi commencer ? Peut-être par un bref retour sur l'histoire.


Au xviie siècle, après un mouvement de conversions au christianisme la jeune Église japonaise entre dans une ère de graves persécutions. La persécution des chrétiens et de leurs prêtres (la plupart étrangers) est sévère; les tortures infligées pour obtenir le reniement de la foi chrétienne sont raffinées et atroces, particulièrement celle du Tsurushi. Deux jésuites missionnaires portugais, malgré les graves dangers qui les attendent, se rendent au Japon pour y soutenir les chrétiens et enquêter sur le cas d’un missionnaire qui succombant aux tortures finit par abjurer la foi chrétienne. Ils y arrivent mais sont bientôt découverts et emprisonnés.


Shusaku Endo, l'auteur de ce livre, nous emmène au plus profond des doutes du personnage principal le père Rodrigues. Car une fois capturé, le jeune jésuite va devoir faire un choix. Apostasier (abandonner la foi chrétienne) ou voir des japonais catholiques se faire torturer et tuer. C'est là que sa foi va être mise à l'épreuve.


"Derrière le silence oppressant de la mer, le silence de Dieu... le sentiment qu'alors que les hommes crient d'angoisse, Dieu, les bras croisés, se tait."


Dieux existe-t-il ? Pourquoi ne répond-t-il pas aux prières incessantes de père Rodrigues ? Faut-il apostasier et renier sa foi ? Ou au contraire répondre à la volonté de Dieu, de l'Eglise ? Ces questions sont traitées de manière passionnante. Shusaku Endo trouve à la fois la force et la faiblesse de cette religion catholique. Mais avec cette fin, belle et ambiguë, l'auteur livre une fabuleuse leçon sur ce qui serait la foi véritable. Et à partir de là je ne peux plus éviter les spoilers donc ceux qui veulent absolument lire le livre sans en connaître la fin revenez à cette critique plus tard.


« Piétine ! Piétine ! Mieux que quiconque je connais la souffrance. Piétine ! C’est pour être piétiné par les hommes que je suis venu au monde ! C’est pour partager la douleur des hommes que j’ai porté ma croix ! »


C'est ce qu'entend Rodrigues juste après avoir entendu les cris de japonais qui sont horriblement torturés. Jésus l'encouragerait-il à apostasier ? (ici il doit piétiner une image du Christ pour renoncer à sa foi). Ou bien est-ce une voix dans sa tête qui lui a dit de le faire ? Comme il avait pu le dire dans la première partie du livre à certains japonais. Dans le premier cas on pourrait se dire que Rodrigues a été fort et que Dieu lui a enfin répondu. Aux yeux de l'Eglise il sera un apostat mais au yeux de Dieu son plus grand fidèle. Dans le deuxième cas, il serait un faible. Inventant lui-même cette voix pour se sauver. Mais je crois que cela va au delà de ça. Je crois qu'il a compris ce qu'était la foi, ce que c'était d'être un chrétien catholique et en particulier lorsque l'on est jésuite. Aux yeux de l'Eglise c'est un "traitre" aux yeux de Dieu c'est un héros. Sa mission est de partager les souffrances des autres. Souffrir à leur place. Il aperçoit enfin ce qu'il doit faire. Il est venu au Japon pour aider ces japonais qui sont catholiques. Il n'est pas venu pour qu'ils souffrent à sa place. En tout cas, c'est comme ça que je perçois la fin du livre. Il a gardé la foi et peut-être qu'elle bien plus belle et grande qu'avant. Je pense que Shusaku Endo tente de nous montrer que la foi est quelque chose que l'on peut garder pour soi.


Mais la puissance de cette fin et du livre réside dans le fait qu'il parle même aux athées ou aux agnostiques. De grandes questions qui selon moi peuvent concerner tout le monde sont posées dans cette oeuvre. L'existence de Dieu, le sens de la vie, les bonnes ou mauvaises actions dans notre existence, sont des sujets pointés de la plume par Shusaku Endo. Jusqu'où sommes-nous prêts à défendre nos idées ? A quel prix ? Il y a aussi une question de tolérance et de remise en cause des evangélisations au Japon. La culture est si différente là-bas. Mais surtout ils ont le Bouddhisme. Ce qui fait comprendre à Rodrigues que le Japon n'a pas besoin d'être sauvé.


Apres la lecture de ce livre on se met à méditer sa propre vie, sa propre existence. Est-ce que je suis dans le bon chemin ? Dans quel but je suis arrivé au monde ? Le père Ferreira est le personnage qui m'a le plus marqué. Car c'est lui qui enclenche l'apostasie de Rodrigues. Mais c'est aussi le personnage dont je sens le plus proche de par ses idées (qu'il les pense ou non car le livre nous met le doute). Le personnage de Kichijiro aussi est marquant. Est-il un traître ou finalement un héros ? Agit-il bien ou mal ? Il synthétise les questions que je peux me poser, bien sûr dans un contexte beaucoup moins grave. Le livre fait aussi étrangement écho à l'actualité et devient encore plus troublant.


Beaucoup de questions auxquelles mes réponses je pense évolueront avec le temps. C'est un livre dont la perception peut changer au cours d'une vie. Après la lecture on peut voir certaines choses différemment. Mais aussi pour un athée comme moi, je vois autrement les religieux, les vrais. Je trouve que l'auteur a parfaitement montré sa religion, car oui Shusaku Endo est catholique. Croyant ou non jetez vous sur ce livre qui est je dois le dire, un des meilleurs et des plus troublants que j'ai pu lire. Peut-être bien au dessus de certains auteurs classiques que l'on nous vante tant.


"Il était venu dans ce pays afin de donner sa vie pour les autres et c’étaient ces Japonais qui, un à un, donnaient la leur pour lui"

Lost_in_casino
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le 12 déc. 2016

Critique lue 885 fois

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Lost_in_casino

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