Michael Powell et Emeric Pressburger frappent fort en 1948 avec un film que je considère aujourd'hui comme un chef d'oeuvre qu'est Les chaussons rouges. Il était donc difficile d’enchaîner avec un film à la hauteur. Et ils l'ont pourtant fait, poussant le délire des chaussons rouges à l'extrême avec la sortie en 1951 de l'adaptation de l'opéra d'Offenbach : Les contes d'Hoffman. Les deux compères réalisateurs ont réussi à me replonger dans cet opéra et à beaucoup plus l'apprécier. J'avoue avoir écouté cette pièce musicale toujours d'une oreille un peu distraite. Non pas que je ne l'appréciais pas mais il faut avouer que l'opéra sans sa représentation théâtrale c'est dur de vraiment plonger dedans. Mais avec les images des deux réalisateurs c'est tout de suite beaucoup plus simple. Et je trouve dingue que ce film n'ait récolté finalement que très peu de notes et soit si méconnu par les cinéphiles (du moins présents sur senscritique). Ce film est la "suite" directe des chaussons rouges en terme d'esthétique et d'ambiance. Même l'histoire d'ailleurs fait écho à leur film précédent.


Voici un petit synopsis accompagné d'un petit trailer qui vous donnera peut-être déjà envie de voir ce film (et vous fera peut-être oublier le côté opéra qui est pour les néophytes comme moi parfois rebutant) : Hoffmann, un poète, attend la belle Stella dont il est épris dans une taverne où elle doit le rejoindre. En attendant la ballerine, il se prend à repenser aux trois grandes histoires d'amour de sa vie : la poupée Olympia animée par la magie, la chanteuse Antonia et la courtisane maléfique Giulietta. (https://www.youtube.com/watch?v=HN82DTbamkA)


C'est un des films les plus beaux que j'ai vu de ma courte vie. Costumes, décors, mouvements de caméras, métaphores, danse et chorégraphies sont calculés au millimètres près pour donner un spectacle visuel incroyable. Le montage est aussi d'une précision chirurgicale pour suivre le rythme de la musique, mais il est aussi impressionnant de voir les images choisies qui se succèdent qui souvent font sens et ne sont pas que là pour suivre l'opéra de manière purement rythmique. J'ai été ébloui par ce film qui est dans la lignée d'un certain expressionnisme allemand (oui c'est cliché de dire ça mais c'est assez vrai) et qui possède un côté fantastique et étrange qui tantôt dérange et tantôt nous claque par sa beauté. Le deuxième conte, celui de la courtisane est le parfait exemple de ce mélange. On a d'ailleurs droit a une image incroyable où cette courtisane marche sur des corps rouges sangs, une image qui va rester dans ma tête, illustrant parfaitement le côté dérangeant et beau du film. Les réalisateurs profitent de chaque opportunités techniques pour créer une image fascinante qui pour certaines vont me faire un peu vrillé le cerveau en m’interrogeant sur la manière de les créer. Il y a tout visuellement de la scène de ballet dans Les chaussons rouges mais étiré sur deux heures de film. Les danses sont d'ailleurs très bonnes comme pour Les chaussons rouges, même si je n'y connais pas grand chose en matière de ballet. Mais je trouve que c'est la force de toutes les grandes œuvres, on a beau ne rien connaître d'un art on réalise tout de même sa beauté et sa complexité lorsque l'on est face à une grande oeuvre. Ici la danse, l'opéra et le cinéma ne peuvent qu'impressionner. Enfin c'est mon sentiment.


Car oui il semble que ce film est boudé par les jeunes et même moins jeunes cinéphiles contrairement aux chaussons rouges, d'où pour moi parfois les limites de notre cher site qui pousse parfois plus à découvrir l'inconnu que tout le monde connait. Je parle bien de limite et il y a des films quoi qu'on puisse faire resterons dans l'oubli (un exemple allez chercher les films d'Edmond T Gréville, ils sont assez fascinants). Cependant pour Les contes d'Hoffman, je ne l'explique pas vraiment. Tout est réuni pour qu'il soit un minimum connu. C'est une adaptation, d'un opéra tout de même célèbre. Je suis d'ailleurs persuadé qu'on en a tous entendu un air au moins une fois. (c'est même sûr pour les fans de Minuit à Paris) Le film fait d'ailleurs un peu de bruit lors de sa sortie, obtenant à Cannes un prix spéciale pour la meilleur transposition à l'écran d'une œuvre musicale et l'Ours d'argent à Berlin dans la catégorie film musical (devancé par cendrillon la version animation pour l'Ours d'or). Mais ce qui contribuerait à le rendre encore plus connu c'est de savoir à quel point il sert de référence pour beaucoup de réalisateurs et en particulier ceux du nouvel Hollywood. La restauration du film a d'ailleurs été supervisée par Martin Scorsese et sa monteuse de longue date Thelma Schoonmaker Powell. Car oui elle a été épouse de Michael Powell. Scorsese est un grand fan du film et est en trance à chaque fois qu'il en parle. Mais Coppola aussi est un grand admirateur du film où il lui rend hommage dans Tetro. Et ce qui me marque le plus c'est George Romero, qui affirme que sans ce film il n'aura peut-être pas fait de cinéma. Et que le côté horrifique des contes d'Hoffman l'ont aussi poussé (pas totalement due a ce film non plus mais quand même) vers les films de zombies. Imaginez le cinéma sans Romero. Je pense que c'est l'opéra qui rebute le plus et qui finalement est responsable de la méconnaissance du film. Parce que oui l'opéra rebute. Moi même j'ai un peu de mal avec l'opéra. C'est ce qui fait que j'ai très moyennement apprécié Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy qui on peut le dire n'a pas fait les choses à moitié (calembour de niveau 1) avec cette comédie musicale entièrement chantée. Non seulement l'opéra c'est entièrement chanté mais aussi avec un chant bien particulier qui parfois ne passe pas. Pour autant avec ce film, l'opéra est passé comme une lettre à la poste. (Mention spéciale à Robert Rounseville (Hoffman) et Anne Ayars (Antonia) qui sont les deux seuls comédiens qui chantent vraiment dans le film) Les images nous font suivre l'histoire et nous détournent parfois du chant qui me donne tant de mal. Et puis grâce aux sous titres j'ai pu enfin comprendre ce qui était dit. Ce film m'a donné envie de voir plus d'opéra qui passent souvent tard le soir sur arte (suis-je vieux ou fou en regardant arte ? Je viens de me prendre une question existentielle en pleine face ^^). Mais peut-être et c'est même certain que tout le monde n'aura pas la même réaction et n'arrivera pas ou n'a pas réussi à faire abstraction de l'opéra, vu les notes qui me semble basses (mais pas ridicules) par rapport au film. C'est certainement un des plus beaux films de l'histoire mais qui malheureusement est aussi un des moins accessibles. Cependant je ne désespère pas de voir ce film avoir de plus en plus d'admirateurs. C'est un bijoux du cinéma, presque qu'un chef d'oeuvre, il m'a seulement manqué une ou deux images marquantes en plus de celles déjà présentes pour le considérer en tant que tel. Je ne désespère pas non plus de voir l'oeuvre de Michael Powell et Emeric Pressburger avec des films comme Le voyeur ou encore Le narcisse noir ainsi que L'espion noir (et j'avoue qu'il m'en reste beaucoup à découvrir) devenir de plus en plus connue grâce à la restauration des films. Plongez vous dans ces œuvres et surtout ce merveilleux film qu'est Les contes d'Hoffman, peut-être qu'il ne vous donnera pas autant de frissons qu'attendu à cause de l'opéra mais c'est une claque visuelle assurée. Et entre nous ça risque de vous faire apprécier l'opéra ce qui n'était pas forcément acquis pour moi. Foncez et profitez de superbes personnes comme Scorsese et beaucoup d'autres qui nous permettent de découvrir ou redécouvrir ces films dans des versions restaurées (et maintenant en 4k). Laissez vous submerger par cette incroyable poésie visuelle.

Lost_in_casino
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le 23 juin 2018

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