Un drame familial à hauteur d’enfant. Un texte comme une épure, tragique et lumineux.

Simon a six ans. Il entretient avec sa mère une relation de complicité tendre et d’amour exclusif, une belle relation de mère à fils. Il est le narrateur du deuxième roman de Jocelyne Desverchère, paru en février 2018 aux éditions POL. La voix de Simon n’est pourtant pas tout à fait celle d’un enfant : ses phrases simples et dépouillées évoquent la langue d’un adulte, trop vite mûri dans un corps très jeune.


«Je reste avec ma mère, on aime bien être, comme ça, tous les deux.
Je la rejoins dans le lit, quand j’entends la porte claquer. Et on se rendort, un peu, blottis. Mes mains dans ses cheveux, ils sont longs, blonds. « Une cascade d’or », comme une formule magique qui sait calmer mes pleurs.
J’aime soulever mes paupières tout doucement et scruter le moment où elle plongera son regard bleu dans mes yeux, je les refermerai aussitôt dans l’attente de ses baisers tendres dans le creux de mon cou, sur mes mains.»


À travers le regard et la voix de Simon, on ressent les moments de déséquilibre ou de tristesse de cette femme, incompréhensibles pour l’enfant qui remarque sa fragilité, sa façon de se tenir parfois en marge de la vie sociale. Les fissures de cette mère s’ouvrent en une béance immense après un coup de téléphone qui va la terrasser.


«La pluie a fait fuir les passants.
L’eau sur son visage est-elle la même que celle qui coule sur le mien ?»


Il est difficile de raconter l’intensité de l’amour pour une mère et la douleur de la perte. Plutôt que de se mettre à distance, plutôt que d’envelopper l’amour et la douleur dans des phrases complexes, Jocelyne Desverchère se place à hauteur d’enfant, au cœur « du réacteur » dans la voix de Simon, en veillant minutieusement à ne jamais distiller de pathos. En phrases brèves, quasiment cliniques, elle réussit à exprimer le désespoir, le vide ouvert par la disparition de la mère puis l’espoir d’une guérison, dans une ancienne ferme, chez Fernand et Fifine à qui le père de Simon confie son petit garçon. Là, il apprend de nouveaux gestes, grimper dans les arbres, empailler un oiseau. Simon redeviendra-t-il autre chose qu’une cavité de chagrin ?


«Je l’entends qui parle, crie, c’est la première fois, je crois, que je vois des larmes couler sur le visage de mon père.
Mon cœur est grand, immense. Une cavité sans fin. Je me sens transparent.
Cette impression que la ville est visible à travers moi, le temps y défile.
Face à la fenêtre qui la surplombe, mon reflet, mille points lumineux correspondant aux vitrines, aux voitures, aux simples lampadaires, mon corps n’est plus que contour.»


Comme son précédent roman, «Première à éclairer la nuit», «Simon» est un texte tragique et pourtant lumineux. Par la justesse de sa voix, réduite à l’essentiel, par la maîtrise de ce décalage d’un narrateur qui n’appréhende pas tout de la situation, du fait de son jeune âge, Jocelyne Desverchère orchestre un roman d’une force subtile, dont la conclusion, poétique énigme, ressemble à l’envol d’un oiseau.


Nous aurons la joie d’accueillir Jocelyne Desverchère le 17 mai prochain en soirée à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris) pour une rencontre-dédicace autour de cet ouvrage et du précédent.


Retrouvez cette note de lecture (et toutes les autres) sur le blog Charybde27 ici :
https://charybde2.wordpress.com/2018/04/30/note-de-lecture-simon-jocelyne-desverchere/

MarianneL
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le 30 avr. 2018

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