Convenons-en, certains romans assèchent littéralement la plume. J’aimerais énoncer, à grands coups d’adjectifs admiratifs, l’état mental dans lequel je me trouve, mais les mots manquent, l’inspiration se tarit et surtout j’ai peur d’affadir l’œuvre originale avec des banalités. Bref, adoptons le profil bas.


Sinaloa Story appartient à cette espèce rare, laissant le lecteur sans voix, comme assommé par un trouble persistant lui remuant au moins autant l’intellect qu’un autre point de son anatomie situé à peu près sous le sternum. De Barry Gifford, j’ai lu ici et là qu’il était l’auteur de Sailor et Lula, un titre adapté au cinéma par David Lynch, et dont Gifford a poursuivi l’histoire sur plusieurs volumes. Sans doute satisfait du résultat, il a continué à collaborer avec Lynch, participant à l’écriture du scénario de Lost Highway. Voilà pour l’aspect informatif.


Paru chez Gallimard, lorsque la collection Série Noire ressemblait encore à quelque chose, Sinaloa Story emprunte son découpage et ses effets au cinéma. Ellipses, procédés narratifs et impressions visuelles persistantes jalonnent le récit. Le lecteur se trouve ainsi immergé comme dans un scénario de film. Le genre de film noir et intimiste, où la caméra se focalise sur les personnages, révélant par touches progressives leur environnement et leur état d’âme. L’art de Barry Gifford donne sa pleine mesure dans la caractérisation des personnages. Avec un nom – toujours très imagé –, quelques éléments descriptifs, des dialogues, un embryon d’histoire personnelle, Gifford pose son bonhomme ou sa bonne femme. Des marginaux, des écorchés, souvent à la limite de la légalité, à l’image de bon nombre de laissés pour compte aux États-Unis. La prose très crue contribue à leur donner une patine, collant à la réalité.


Le synopsis de Sinaloa Story donne du roman une image faussement classique. Un homme, une femme, un magot à récupérer avec vengeance à la clé. Le propos a fait les beaux jours de nombreux autres romans et scénarii. Pourtant Gifford tire son épingle du jeu avec une maîtrise impressionnante. De crainte de déflorer l’intrigue, on se contentera de dire que Sinaloa Story commence avec un personnage et se termine avec un autre. Entretemps, les protagonistes se croisent et se succèdent, côtoyant au passage quelques caractères secondaires.


Mais arrêtons là un compte-rendu dicté sous l’influence d’un roman au charme vénéneux. Barry Gifford mérite mieux que ces mots. Dépêchez-vous de le lire pour vous en rendre compte.


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leleul
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le 8 mai 2016

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