Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Un ouvrage entré dans la légende avant même sa publication. Notamment du fait de sa couverture commise par Patrick Imbert, et que l'on a vite désignée du nom « d'Anus de robot ». Autant dire que ça a fait jaser, hurler, dégobiller, ricaner, sarcasmer, cequevousvoudrer... et presque razzier, mais finalement, non, ouf, sans doute parce que ledit Patrick Imbert fait partie du jury des razzies, aha, mais non voyons, il y avait Jackie Paternoster en compétition. Et Jackie Paternoster est imbattable (ou presque). Et puis, blague à part, je vais faire mon coming-out : moi, je l'aime bien, cet anus robotique (ou téton percé robotique ; ou verrue robotique, etc.)... Si, si, sérieux ! J'aime bien. Y'a du boulon et de la rouille, ce qui est déjà appréciable, et puis ça nous repose les yeux, au milieu des abstractions fluorescentes et autres juvénileries phalliques qui constituent le gros de l'illustration SF.

Mais assez parlé de cette couverture (elle est bien, vous dis-je) : si le contenant a pu crisper, le contenu était néanmoins fort attendu. Parce que les essais sur la science-fiction sont finalement assez rares en France (saluons d'ailleurs l'heureuse initiative des Moutons électriques, qui ont publié en même temps un ouvrage de Jean-Daniel Brèque consacré à Poul Anderson) ; parce que Robert Heinlein est un monstre de la science-fiction, qui n'est probablement pas estimé à sa juste valeur en France, et dont l'œuvre et la pensée ont suscité des polémiques parfois consternantes, témoignant surtout de la méconnaissance tant de l'auteur que de la politique américaine de la part des donneurs de leçons franchouilles ; enfin parce que le duo d'auteurs, le physicien au CNRS Eric Picholle et l'historien du droit et des idées politiques Ugo Bellagamba (accessoirement – non, pas accessoirement du tout, d'ailleurs – lui-même écrivain de science-fiction), semblait nous garantir une approche originale et passionnante de l'auteur incontournable.

Promesse tenue. Solutions non satisfaisantes est un ouvrage à la fois sérieux et documenté (j'aurais presque envie de dire « universitaire », mais j'ai peur de susciter un exode massif...) et d'une lecture agréable, ce qui fait bien plaisir, ma foi. Si l'ouvrage nécessite probablement de connaître un minimum l'œuvre de Robert Heinlein pour être apprécié à sa juste valeur, il me semble néanmoins accessible aux curieux qui ne la connaîtraient finalement guère ; quant aux amateurs éclairés, je ne doute pas qu'ils trouveront dans cet essai bien des éléments de réflexion, à même de leur faire envisager différemment leurs lectures d'antan, voire de les inciter à s'y replonger. C'est après tout un des objectifs avoués des auteurs...

Solutions non satisfaisantes adopte un plan chronologico-thématique parfaitement approprié. Il est ainsi constitué de 28 brefs chapitres, suivis d'abondantes notes bibliographiques et/ou informatives, qui constituent autant de moyens différents d'aborder la vie et l'œuvre de Robert Heinlein. Bien des points sont abordés, ainsi, concernant tant des éléments directement biographiques – la formation à l'Académie de la marine d'Annapolis, l'engagement politique aux côtés d'Upton Sinclair, etc. – que d'autres se rapportant directement à l'œuvre – « L'Histoire du futur », les juveniles, Starship Troopers, En terre étrangère, Révolte sur la Lune, etc., y compris des chapitres entiers consacrés à des œuvres inédites en français, et non des moindres –, ou encore à son impact – des waldoes et waterbeds à la « guerre des étoiles », en passant par le cinéma, le Vietnam et les hippies...

On dresse ainsi le portrait fascinant d'un auteur incontournable, et bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Et notamment sous un angle qui m'a plus particulièrement intéressé (et pour cause...), et qui me semble relativement dominant tout au long de Solutions non satisfaisantes (sans parasiter pour autant l'ouvrage : bien d'autres thématiques sont traitées) : celui des idées politiques. Notamment du fait de Starship Troopers, et notamment en France, Heinlein se paye à peu de choses près une réputation de gros facho militariste, ou, du moins, d'auteur clairement connoté « à droite », s'opposant par voie de conséquence à des auteurs « de gauche » qui ont sans doute rencontré davantage d'écho en France, comme plus tard Philip K. Dick, par exemple, mais aussi, déjà, à certains de ses confrères de « l'âge d'or », ainsi « l'humaniste » Isaac Asimov (qui avait d'ailleurs consacré à Robert Heinlein quelques intéressantes pages de son amusante autohagiographie Moi, Asimov), ou encore Arthur C. Clarke, qu'il avait violemment pris à partie vers la fin de sa vie au sujet de l'IDS. On prend acte, de même, de son attitude lors de la guerre du Vietnam, où il faisait partie des signataires d'une pétition de soutien à l'intervention américaine, clamant haut et fort leur opposition aux « pacifistes » (parmi lesquels Dick, Le Guin, etc.).

Mais c'est là une lecture bien réductrice, et pour ainsi dire franco-française. La pensée politique de Heinlein – car il en avait bien une – est largement plus complexe ; on ne saurait la cantonner dans le traditionnel clivage français droite / gauche, certes souvent applicable à d'autres pays, mais qui se montre singulièrement défaillant dans certains cas, et notamment dans celui de la démocratie américaine, qui a développé une culture politique très particulière. Les faits sont là : Heinlein pouvait très bien s'engager aux côtés du « socialiste » Upton Sinclair pour « éradiquer la pauvreté » en Californie dans les années 1930, tout en étant déjà farouchement anti-communiste, et se faire plus tard le chantre de l'initiative individuelle avec L'homme qui vendit la Lune et des théories monétaristes néo-classiques de Milton Friedman avec le fameux « un repas gratuit, ça n'existe pas » de Révolte sur la Lune ; il pouvait prôner un Etat mondial pacifique, et être en même temps un virulent patriote, participant au projet de « guerre des étoiles » sous l'administration Reagan ; critiquer le totalitarisme et toutes les formes d'empiètements de l'Etat, et faire l'éloge de la discipline militaire ; militer pour les droits des femmes et la liberté sexuelle, et écrire des romans largement asexués et relativement datés sur le plan des mœurs ; être adulé par des hippies pacifistes lisant au premier degré En terre étrangère, et par des gros bœufs militaristes lisant au premier degré Starship Troopers... On pourrait continuer longtemps ainsi.

Le fait est que Robert Heinlein ne correspond à aucune idéologie largement répandue en France. Il est un auteur indéniablement américain, imprégné de la démocratie américaine et de la culture politique qui va avec : son « Histoire du futur » passablement américano-centrée en témoigne assez. Dès lors, sa pensée politique ne peut-être envisagée de manière cohérente qu'au travers du prisme de la culture politique américaine. Encore ne saurait-on véritablement l'attacher sans aucun doute à un courant précis ; mais dans les grandes lignes, cependant, c'est bien avec le courant dit « libertarien » que l'on peut établir quelques affinités (même s'il ne s'est jamais engagé aussi clairement que son confrère Jerry Pournelle, co-auteur avec Larry Niven du fameux space opera militariste La paille dans l'œil de Dieu, lequel avait rallié Heinlein au projet IDS, et, plus tard, a plus ou moins « récupéré » certains textes de Heinlein pour soutenir un candidat libertarien à la présidence des Etats-Unis), ce que l'on constate notamment à la lecture du chapitre consacré à Révolte sur la Lune. Mais en bien d'autres endroits (Upton Sinclair, le mouvement EPIC, les thèmes de la « frontière » et du « pionnier », la figure de D.D. Harriman, Starship Troopers, En terre étrangère, etc.), les auteurs – mais je suppose que c'est ici essentiellement d'Ugo Bellagamba qu'il s'agit, quand bien même l'ouvrage entier, à l'exception de la conclusion en miroir, est présenté comme écrit à quatre mains par un auteur bicéphale – nous livrent ainsi un portrait fascinant d'un homme politique (oui, on peut bien le dire !) à la pensée complexe, originale, et souvent intéressante.

La question n'est bien sûr pas d'y adhérer ou non, mais d'en prendre acte, sans la caricaturer ; Ugo Bellagamba le note lui-même (pp. 396-397) : « les idées de Robert Heinlein m'interpellent sur un plan conceptuel sans nécessairement emporter mon adhésion sur le plan personnel. » Moi de même... Et l'auteur d'insister ensuite sur ce que la lecture de Robert Heinlein peut apporter concernant « la prise de conscience de la diversité des règles de comportement, juridiques, morales, ou religieuses, qui organisent les communautés humaines. Entendez par là, la grande variété des valeurs qui sous-tendent les sociétés, à travers le temps et à travers l'espace. » (p. 399) Et de le comparer sous cet angle à Hérodote et Montesquieu – mais oui ! –, puis de faire le lien avec l'anthropologie sous toutes ses formes (politique, juridique, etc.).

Ainsi que je l'avais déjà noté concernant Ursula Le Guin, c'est là un des aspects qui rendent à mes yeux la science-fiction si passionnante, et si nécessaire. Cet excellent essai (pas grand chose à lui reprocher, au final : sans doute certains passages « scientifiques » sont-ils un peu hermétiques pour le quidam ; sans doute en aurait-on voulu davantage dans certains cas ; et on regrettera, sans surprise, un certain nombre de coquilles plus ou moins gênantes, notamment pour ce qui concerne les notes – il y a parfois des confusions dans les appels, des notes reproduites deux fois, des oublis... peut-être aussi une toute petite tendance à l'hagiographie par endroits, mais alors vraiment toute petite... bien peu de choses, dans l'ensemble) me confirme dans cette impression. Je ne peux que souhaiter la publication d'autres ouvrages du genre, a fortiori – mais là je prêche pour ma paroisse... – s'ils établissent de même que celui-ci des passerelles entre science-fiction et histoire des idées politiques. Que du bonheur en ce qui me concerne...
Nébal
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 10 oct. 2010

Critique lue 235 fois

1 j'aime

Nébal

Écrit par

Critique lue 235 fois

1

Du même critique

Janua Vera
Nébal
8

Critique de Janua Vera par Nébal

Pour les gens pressés, on va faire simple et lapidaire : Janua Vera, premier livre de l'inconnu Jean-Philippe Jaworski, est un ouvrage remarquable et qui vaut franchement le détour. Il ne paye certes...

le 26 oct. 2010

48 j'aime

6

La Carte et le Territoire
Nébal
7

Critique de La Carte et le Territoire par Nébal

Ça y est, je l'ai lu, ce dernier roman du Terrible Michou. Celui dont on dit qu'il fait l'unanimité de la critique pour lui, et auquel on prédit déjà le Goncourt. Ce qui ne l'empêche pas de se faire...

le 2 oct. 2010

44 j'aime

5

Conan le Cimmérien - Conan : L'Intégrale, tome 1
Nébal
8

Critique de Conan le Cimmérien - Conan : L'Intégrale, tome 1 par Nébal

Hop, encore un gros et beau morceau de classique, avec cette édition tant attendue de l'intégrale des « Conan » de Robert E. Howard. Et sans doute vaut-il mieux parler d'édition plutôt que de...

le 24 oct. 2010

27 j'aime

1