Le socialisme selon un philosophe libéral

En 1879 paraissent des écrits du philosophe John Stuart Mill sur le socialisme. Le livre est inachevé, peut-être parce que, se sentant vieillir, Mill préféra terminer son autobiographie. Mais quelles horreurs peut bien raconter un libéral du XIXe siècle, qui plus est utilitariste, à propos des idées socialistes ? C’est là la grande surprise du livre : Mill, s’il n’abandonne pas ses idées, tente une analyse équilibrée et cherche à démêler ce qu’il juge pertinent de ce qu’il juge erroné, se basant principalement sur les textes de Louis Blanc et de Victor Considérant plutôt que sur ceux de Marx. L’honnêteté intellectuelle de son approche ne le mène toutefois pas à changer ses opinions plus favorables au capitalisme qu’au socialisme, mais tout l’intérêt du texte est de présenter ce qui peut paraître pertinent à un partisan du capitalisme dans les idées socialistes et communistes.


Mill pose son jugement sur deux aspects qu’il estime nécessaire de distinguer dans toute idée politique : d’une part, la critique de la société existante et, d’autre part, les propositions pour améliorer la situation. Il ne rejette pas en bloc le socialisme mais rejette la méthode révolutionnaire, qu’il dit être source de malheurs pour tous, y compris les plus pauvres, pour lui préférer une réforme lente. Le socialisme aurait le mérite de remettre en cause des injustices réelles et aboutirait in fine à un compromis, notamment par l’examen de l’institution de la propriété et l’abolition de ses aspects néfastes. Car, pour le philosophe libéral, la propriété n’est pas immuable : elle a évolué au cours du temps et peut encore être réformée.


Le mérite, mis en avant pour expliquer les inégalités, n’est pas, selon l’auteur, une réalité dans la société capitaliste. Mill rejette l’argument du darwinisme social qui justifie la misère par le fait que ce ne sont « que » les plus fragiles qui en souffrent : l’auteur utilitariste considère que c’est justement là le problème, une société juste ne doit pas causer le malheur des plus faibles.


Mais, si Mill reconnaît de nombreuses qualités aux thèses socialistes, il reste pour l’essentiel englué dans l’idéologie capitaliste, à laquelle il donne toujours le dernier mot. Il ne comprend pas, par exemple, comment trouver des dirigeants compétents dans une société socialiste, comme si la compétence allait forcément toujours de pair avec la cupidité.


Ce petit livre atypique, sans être complètement favorable au socialisme ou au communisme, pourra donner des arguments d’autant plus forts aux thèses de la gauche collectiviste, qu’il a été écrit par une grande figure de la pensée libérale.


Sur le socialisme, de John Stuart Mill, a été traduit en français en 2016 par Michel Lemosse et édité par Les belles lettres.


Critique tirée du site Pour la Sociale : https://pourlasociale.wordpress.com/2021/06/24/sur-le-socialisme-john-stuart-mill/

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le 24 juin 2021

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