Magnus Mills est le plus discret des auteurs anglo-saxons vivants. Il est si discret que (sauf erreur de ma part) ses romans ne sont même plus traduits en français depuis Three to see the king/3 pour voir le roi, qui remonte à 2005), sans doute pour cause de non rentabilité. Est-ce que cela veut dire qu'ils sont devenus mauvais ? Pas le moins du monde, bien sûr. Cela veut dire que les éditeurs français de littérature étrangère ne savent (toujours) pas ce qu'ils font, qu'ils continuent à chercher le énième Happy Rotter au lieu de publier des livres vraiment originaux et qu'ils se moquent de ce qu'ils font perdre aux lecteurs monolingues.


Depuis Retenir les bêtes, Magnus Mills continue son exploration hilarante des tréfonds de l'âme humaine. Sa recette est à peu près la même: des personnages sans passé, à la personnalité simple mais prononcée, se retrouvent dans une situation délicate quoique pas exceptionnelle, tentent de s'en sortir sans faire de vagues, et se retrouvent embarqués dans un imbroglio inextricable dont ils feront les frais. A moins de trouver un bouc émissaire...


Dans ce huitième opus (auquel il faut ajouter trois recueils de nouvelles -non traduits-, et que l'on peut traduire par "Le Camp du Drap d'or"


(signalons que ce récit n'a rien à voir avec l'entrevue de François Ier et Henri VIII en 1520)


, le narrateur a planté sa tente un beau matin dans un vaste champ bordé d'une rivière. Puis il va à la rencontre des autres campeurs, tandis que l'été s'achève... et que les choses se compliquent par petites touches insensibles.


Je n'en dirai pas plus. Les histoires de Magnus Mills sont des fables intemporelles, rarement pourvues de dates, de noms de lieux ou d'informations qui risqueraient de nous ramener de force dans une réalité trop quotidienne. Pourtant, c'est surtout de cela qu'il parle: du quotidien; de la vie en société, c'est-à-dire au milieu des autres êtres humains. Et il n'a pas son pareil pour nous faire toucher du doigt à quel point le mot "humain" est farci d'ambiguïtés. Car on dit "humain" aussi bien pour désigner un animal biologique de l'espèce humaine, que pour qualifier un comportement hautement moral, et - ce qui est plus curieux -, on le dit aussi pour signifier "faible", "erroné", "lâche"...


Les héros de Magnus Mills sont-ils héroïques ? Pas vraiment. Mais honnêtement, nous, quand nous arrive-t-il de l'être ? Qui sommes-nous pour en juger ? Au fait, de quels droits les autres nous jugent-ils ? Ah, oui: puisque nous les jugeons. (Les gens qui disent "je n'ai jamais jugé personne" sont des menteurs, des inconscients ou bien ils ne pensent à rien).


Ne lisez pas les livres de Magnus Mills si vous cherchez des réponses à ces questions réputées morales. Entrez plutôt en religion. Il n'y a ni religion ni leçon de philosophie dans ses romans à l'humour pince-sans-rire; il y a des gens comme vous et moi qui se débattent contre le courant de la vie médiocre en essayant de ne blesser personne.


Ce qui, vous l'avez compris, montre bien que la vie est une farce. Mieux vaut en rire.

alfredboudry
8
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le 4 mai 2015

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Alfred Boudry

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