(Comme ce titre à la con me fait chier, on va l’abréger en Tipuac, ok ?)
Il faut bien l’avouer, le concept de Tipuac est tout de même assez cool : un Algérien qui ne parle pas le moindre mot de français vient rendre visite à sa famille à Paris, et se paume dans le métro. Il a bien sur lui un petit bout de papier qui lui explique vaguement l’itinéraire qu’il doit suivre, mais visiblement une couille était planquée dans le pâté, puisqu’il se perd immédiatement.
Pour ce pauvre protagoniste perdu, la barrière de la langue se révèle vite hérissée de barbelés, et les souterrains de la capitale prennent des allures de tombeau dont seuls les initiés pourront sortir vivants : les quais se faisant face se ressemblent tous, les couloirs sont interminables, et les panneaux sont illisibles.
Dans un tel contexte, c’est le monde moderne qui devient un ennemi, et la blancheur plus ou moins immaculée de ses murs carrelés et faussement bienveillants ne peut que déclencher une paranoïa dont l’étranger aura du mal à se défaire : lui, celui qui vient d’ailleurs, n’est pas le bienvenu dans la jungle de béton, et elle lui fera payer son intrusion. Au prix fort.
Honnêtement, ça ferait une chouette nouvelle. Seulement, sur un format plus long, on se lasse vite. D’autant que, pour ne pas arranger les choses, Boudjedra s’est lancé dans un exercice littéraire hardcore, en jouant la carte de la phrase à rallonge. Pour vous donner une idée du truc, sachez qu’on doit tourner autour de 5 pages par phrase, quelque chose comme ça. On commence une phrase à La Défense, on la finit à Gare de Lyon.
Bien sûr, dans la théorie, ce parti-pris peut se défendre : il s’agit de créer au sein même de la forme une allégorie des trajets interminables qu’on parcourt d’une correspondance à l’autre, et de mettre en parallèle la détresse du personnage principal, incapable de voir le bout de son périple, et celle du lecteur incapable de savoir où le mènera la putain de phrase sur laquelle il piétine sans savoir où elle va le mener.
Je comprends tout ça, et c’est sans nul doute ce qui fait de Tipuac un chouette d’objet d’étude sur lequel pourront allègrement se branler les enseignants-chercheurs des plus prestigieuses facs de lettres et leurs semblables. Moi-même, j’ai du respect et parfois même de l’admiration pour les aventuriers stylistiques qui osent se lancer dans des paris un peu fous juste pour le plaisir de tester l’élasticité des possibilités de la langue. Mais quand l’expérimentation de l’auteur se fait au détriment du plaisir du lecteur, l’expérience perd de son sens, et sa réussite éventuelle s’en trouve diminuée au point de ne plus rien valoir. A part sa simple existence, Tipuac n’a donc finalement aucun mérite. Si Boudjedra avait réussi à faire quelque chose d’agréable à consommer, là il aurait accompli quelque chose de grand.
Si toutefois vous décidiez de vous lancer dans ce sport littéraire extrême, je vous conseillerais d’enchaîner avec L’escargot entêté, du même auteur (et écrit à quelques mois d’écart, il me semble), qui déploie un complexe opposé en ne faisant usage que de phrases extrêmement courtes, dont chacune pourrait tenir sur un post-it. Le dénivelé est assez exceptionnel, et il vous permettra de ne pas vous fâcher définitivement avec ce cher Rachid.