"Néanmoins, la vérité des pensées ici communiquées me semble intangible et définitive. Mon opinion est donc que j’ai, pour l’essentiel, résolu les problèmes d’une manière décisive."

L’histoire est connue, Wittgenstein écrit en 1921 le Tractatus logico-philosophicus, 32 ans plus tard, il reviendra sur les idées du Tractatus avec les Investigations philosophiques. Ce dernier tirera un trait sur certaines thèses du Tractatus. Ainsi, cette tentative de résoudre tous les problèmes que peut poser la philosophie sera un échec. Mais l’échec en lui-même est intéressant, il montre la stérilité d’une telle démarche.

Pour Wittgenstein, une grande partie des propositions philosophiques résulte d’une incompréhension du langage et de ses règles. Il n’y a pas de controverse en philosophie, des concepts s’opposant les uns aux autres, seulement des erreurs induit par le langage, le fait que nous utilisons un concept (signifiant) pour en désigner un autre (signifié) : "La langue déguise la pensée. Et de telle manière que l’on ne peut, d’après la forme d’extérieure du vêtement, découvrir la forme de la pensée qu’il habille ; car la forme extérieure du vêtement est modelée à de tout autres fins qu’à celle de faire connaître la forme du corps". Ainsi le Tractatus logico-philosophicus ne fait que proposer un langage clair, débarrassé de ses ambigüités, type de langage que l’on peut trouver dans les propositions logiques.

"5.6 – Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde […] Ce que nous ne pouvons penser, nous ne pouvons le penser ; nous ne pouvons donc davantage dire ce que nous ne pouvons penser.". Les liens entre pensée et langage sont évidents. Ce que je pense, je le formule dans une langue donnée, ainsi pour Wittgenstein ce qui excède ma pensée ne saurait se retrouver dans le langage. Mais ici se trouve un arbitraire. Qu’en est-il de toutes les manifestations qui échappent à la conscience ? Ce que montre, entre autres, les exemples canon de la psychanalyse (lapsus, rêves et j’en passe), c’est que dans le discours conscient s’insère des éléments d’une autre nature, d’une autre logique que celle d’un dire suivant le modèle de la raison, qui précisément ne sont pas pensé consciemment mais agissent tout de même. L’inconscient et le désir peuvent parfaitement s’investir dans le langage. L’arbitraire de Wittgenstein consiste à isoler dans le langage l’activité consciente, et ne tient pas compte des autres logiques à l’œuvre.

Au-delà de la fameuse septième proposition "Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.", ce vers quoi nous amène le Tractatus, c’est le mutisme de la philosophie. Une fois que le langage aura atteint toute sa clarté, il n’y aura plus rien à dire, plus rien à créer. Comme le dit cette proposition : "6.53 – La méthode correcte en philosophie consisterait proprement en ceci : ne rien dire que ce qui laisse dire, à savoir les propositions de la science de la nature – quelque chose qui, par conséquent, n’a rien à faire avec la philosophie – "

"6.5 – D’une réponse qu’on ne peut formuler, on ne peut non plus formuler la question. Il n’y a pas d’énigme. Si une question peut de quelques manières être posée, elle peut aussi recevoir une réponse."
Ce mutisme provient du fait que Wittgenstein cherche à donner des réponses définitives aux problèmes de la philosophie, des vérités dernières. C’est justement ce que reprochait Deleuze à Wittgenstein et pourquoi il qualifiait sa philosophie de "pauvreté instauré en grandeur". En voulant absolument trouver des réponses définitives, on épuise les possibilités de création, de nouveauté que peuvent inspirer des problèmes. La philosophie vit de ses problèmes et non de ses réponses.

Ce que nous apprend (mais ce n’est pas nouveau) peut-être le Tractatus logico-philosophicus a ses dépends, c’est que la vérité est quelque chose de foncièrement stérile. Ainsi : "6.54 - Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnait à la fin comme dépourvues de sens, lorsque par leur moyen - en passant sur elles - il les a surmontées. (Il doit pour ainsi dire jeter l’échelle après y être monté.). Il faut dépasser ces propositions pour voir correctement le monde". Ce langage clarifié, les propositions logiques qui ne peuvent être que tautologie (elles ne disent donc rien sur le monde) sont pour Wittgenstein des conditions pour voir correctement le monde. Ce n'est que par la stérilité, le vide que j’ai une vision correcte, vraie.

Tout dépend du critère d’évaluation. Un concept doit-il être fertile, autrement dit être à même de créer de multiples utilisations, de nouvelles conditions d’existence etc… ? Ou alors doit-il avant tout être vrai, même si cela ne débouche que sur du vide ? La vérité ou les effets ? Une fois de plus, tout dépend des problèmes.
Heliogabale
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le 25 juil. 2014

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