Pas un traité, un vademecum antilibéral pour ceux qui débutent.

Sur son compte twitter, Thomas Porcher se félicitait encore récemment que ce livre soit resté en tête des ventes FNAC. De quoi s'agit-il donc ?


Rappelons que Thomas Porcher fait partie du collectif des économistes atterrés, dont le but est de délivrer un contre-discours pour démonter la doxa néolibérale qui a monté en puissance depuis les années 1970 et forme un discours unique dans les grands médias depuis les années 2000.


(Au passage, Porcher incrimine un peu les économistes alternatifs de l'époque, comme Lordon, qui refusaient d'aller dans les médias à cause du format télé, trop court pour détailler une pensée. Le point de vue des économistes atterrés, au contraire, est qu'il faut occuper le terrain médiatique, quitte à simplifier).


C'est un livre court, peu épais (220 pages écrit GROS), que vous pouvez emmener à la plage. Il se divise en 13 chapitres, d'une quinzaine de pages chacun. Vous comprenez donc que le terme de "traité d'économie" est quelque peu usurpé : ne vous attendez pas à ressortir de cette lecture avec des notions pointues sur l'économie monétaire, la dette, ou même les grands courants de la théorie économique, etc...Pour moi, ce livre relève plutôt d'un vadémécum, une série de pense-bêtes pour désamorcer les mensonges du néolibéralisme. Le but est de faire sauter le cadre de pensée dominant, qui voudrait que la pensée néolibérale est objective, sans idéologie ("fixer un cadre de réflexion en dehors duquel il est impossible de débattre n'est-il pas la meilleure façon de dominer les esprits ?", p. 15).
La conséquence est simple : la démarche de ce livre n'est pas tant assertive que démystificatrice. Chaque chapitre prend un des arguments souvent rabâchés par les "experts" néolibéraux et le démonte. N'attendez donc pas une synthèse de la pensée de Porcher. Ici, on vous donne des armes pour rétorquer si vous entendez quelqu'un vous dire "Oui mais avec une dette atteignant 95% du PIB, on n'a pas le choix, il faut réduire les dépenses", ou autres fadaises.


C'est donc un ouvrage qui vise le grand-public, avec quelques chiffres frappants. Mais même dans ses quelques mises au point historiques, ce n'est pas bien fouillé, et je vous aiguillerais plutôt vers ce livre pour plus de précision. En fait, si vous suivez un peu la pensée économique hétérodoxe, vous sortirez déçu, mais c'est un bon livre pour sensibiliser quelqu'un de peu au fait des manipulations que l'élite dirigeante opèrent sur l'opinion.


Je reprends maintenant le déroulé, pour moi-même.


I - L'économie n'est pas une science.
Retour sur l'essai Le négationnisme économique. Et comment s'en débarrasser, de P. Cahuc et André Zylberberg, qui prétendait que l'économie est devenue une science, et que toute pensée hétérodoxe relève du militantisme. Pourtant, deux Nobel d'économie comme J. Tirole et J. Stiglitz peuvent avoir des inteprétations diamétralement opposées sur les effets de l'euro. Rappel de l'échec du consensus de Washington ("stabiliser, privatiser, libéraliser").


II - La soumission volontaire.
Rappel que les trente glorieuses correspondent à une période de keynesianisme. Les leçons de 2007 sur l'échec du libéralisme n'ont pas été tirées.


III - Le mythe de la réussite individuelle.
L'individu est maître de son destin lorsqu'il s'agit d'un riche. La réduction de l'analyse à l'échelle de l'individu n'est pas anodine : elle veut faire oublier l'idée de rapport de force entre classes sociales. En réalité, les hommes d'affaires doivent une grande partie de leur réussite aux structures sociales de leur pays, qui ont assuré leur éducation, etc...Inversement, on culpabilise le chômeur, comme s'il l'était volontairement.


IV - Marché du travail : des réformes libérales sans fin... et sans succès.
Le marché du travail est décrit comme rigide et irréformable. En réalité, il y a eu 17 réformes sur la seule période 2000-2013, sans gain pour les salariés et sans recul du chômage. Rappel de la provocation de Denis Kessler sur le programme du CNR. En réalité, il n'y a pas de consensus sur une corrélation entre flexibilité du travail et baisse du chômage. De même, la comparaison avec les exemples anglais ou allemands n'a rien d'idyllique. Dernier exemple en date de réforme ratée, les jobs act de Matteo Renzi.


V - Dépense publique : pourquoi tant de haine ?
La dépense publique n'est pas à fond perdu, c'est un investissement sur le bien-être et la formation de la population. Lorsqu'on dit qu'elle représente 57% du PIB, ce rapport ne veut rien dire : à ce compte-là, la dépense privée en représente 200%. Et à ce compte-là, le CICE et le CIR sont des dépenses publiques, dont l'efficacité reste à prouver.Une politique drastique de la dépense publique peut avoir des effets contraires, comme en Europe après la crise de 20007, a fortiori en Grèce, où la réduction de 20% de la dépense publique a entraîné une chute de 25% du PIB. Enfin la dette n'est pas une menace : en 1945, elle représentait 200% du PIB. Ceux qui veulent raboter l'Etat veulent en privatiser des pans d'activité.


VI - La finance, faux ami de l'entreprise.
Depuis Reagan et Thatcher, passage d'une économie administrée à une économie de marchés financiers libéralisés. Au départ, introduire une entreprise en bourse était un moyen de lever des fonds. Mais aujourd'hui, c'est l'entreprise qui finance la Bourse. La pression des actionnaires encourage une vision à court terme, qui vise moins à faire des investissements lourds d'infrastructure que des réductions de coût. Récit de la visite d'une raffinerie destinée à fermer, car les coûts d'exploration-production sont plus faibles que ceux du raffinage. + Alstom.


VII - L'épouvantail de la dette
2000 milliards de dette, 100% du PIB. Mais il y a un effet loupe, le PIB variant d'une année sur l'autre. Et si l'on faisait de même pour un ménage gagnant 32 000 euros par an avec une dette de 200 000 euros, on obtiendrait un endettement de 625% ! Chiffre inutilement anxiogène, ce qui compte c'est la durée de l'endettement, bien moins alarmant. Dire qu'il faut gérer l'Etat comme une entreprise est également abusif : on ne compte pas dans le calcul de la dette le capital immobilier du pays, qui de toute façon ne peut se retrouver en faillite. Il faut aussi tenir compte de l'endettement privé, bien plus important dans les pays à la protection sociale plus faible. Et les Etats-Unis trichent en émettant des dollars. Enfin, la politique de Macron montre une politique différente pour les riches et les pauvres.


VIII - La casse du modèle social : pourquoi un tel acharnement ?
On ne parle du "modèle social" que pour déplorer son coût. Argument des impôts trop élevés, qui freinent la compétitivité, font fuir les contribuables riches. Il n'y a pas corrélation : la Suède qui prélève beaucoup a pu avoir des résultats supérieurs au Japon, qui prélève peu, sur 1997-2007. C'est la dégradation du service public, dans les hôpitaux, les transports en commun, les universités, ou encore la privatisation des autoroutes qui a un coût social.


IX - L'hypocrisie climatique.
Pour lutter contre le réchauffement, il faudrait 4 piliers : énergies renouvelables, maîtrise des consommations d'énergie, consommation locale, économie circulaire. Mais en-dehors des effets d'annonce, pas de résultats concrets. Hypocrisie des pays riches quand il faut passer à la mise en oeuvre. Récit d'un échange avec un conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais, relativisant l'impact d'une étude sérieuse. Idem, on laisse faire les explorations sur les hydrocarbures de l'Antarctique. Illusion des "solutions de marché", comme le marché du carbone ou le signal-prix.


X - La désunion européenne.
L'Europe a montré son échec lors de la crise de 2007, dont certaines régions ne se sont toujours pas remises. Bilan. La création d'un marché commun de l'emploi a mis en compétition les modèles sociaux et fiscaux, en récompensant le moins-disant. Montée de la précarité, des partis nationalistes xénophobes.


XI - Le libre-échange, arme de domination massive.
Vision binaire, avec le libre-échange associé à la croissance, la liberté, etc... et le protectionnisme incarnant le repli sur soi, la montée des extrêmes. Pourtant libre-échange ne signifie que l'interdiction de protection. En réalité, il n'y a pas eu une évolution progressive et inévitable vers le libre-échange. L'Angleterre ne s'y est mis que lorsqu'elle a été assez puissante pour le faire. C'est en réalité un enjeu inégal de domination, une manière de piller les ressources des pays pauvres. Après l'Uruguay Round, 70% des gains étaient pour les pays développés. Et le libre-échange permet le dumping social. Prochaine vague de délocalisation : la comptabilité et l'audit.


XII - Le FMI : prêter pour mieux libéraliser.
Retour sur les Politiques d'Ajustement Structurels, qui ont forcé les pays pauvres à libéraliser leurs économies alors qu'elles n'étaient pas prêtes. En 1999, FMI et Banque Mondiale s'étaient engagées à laisser les pays élaborer eux-mêmes un DSRP (Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté) en échange d'un prêt. Mais Porcher a pu voir de ses yeux, pour le Congo, que les responsables du pays sont vivement enjoints à coller au canevas qui leur est proposé. En général, leur situation économique est pressante et ils ne peuvent se permettre de négocier. Le changement est donc purement cosmétique. Le cas de la Grèce après 2007 est un exemple de la survivance des PAS.


XIII - Des traités de libre-échange qui donnent les pleins pouvoirs aux multinationales.
On termine sur le TAFTA, et des traités nouveaux qui permettent aux multinationales de définir quand les Etats nuisent à leur activité économique. De ce point de vue, l'U.E., qui obéit aveuglément, est un amplificateur de la mondialisation, les Etats-Unis et la Chine ayant une attitude plus pragmatique. L'intérêt des FTN est de baisser les normes, les plus puissantes ayant le plus de poids dans les négociations. Exemple des tribunaux arbitraux comme l'arrêt du CIRDI (Centre International de Règlement des Différends sur l'Investissement) contre l'Equateur, au profit d'Occidental Petroleum. Au fonds, le seul vrai rempart restent les ONG.


Le livre se termine sur 10 principes d'auto-défense : se méfier des remèdes miracles, du TINA (There is no Alternative), de la réduction à l'individu, de la corrélation flexibilité de l'emploi-chômage, des critiques sur la dépense publique, de la finance, du chantage à la dette, du blabla sur le réchauffement non suivi d'effet, de la commission européenne, du libre-échange.

zardoz6704
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le 9 août 2018

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