Triste vie
7.1
Triste vie

livre de Chi Li (1987)

Autrice ayant grandi au cœur des remous de la Révolution culturelle, Chi Li fut notamment forcée de participer au mouvement de « retour à la campagne » organisé par Mao à destination des étudiants chinois. Mais c’est de l’après-Mao et de l’ère des Quatre Modernisations, inaugurée par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, dont parle surtout l’écrivaine dans ses romans.


Triste vie est son premier ouvrage traduit en français. Court (à peine cent pages), le roman a la particularité de respecter la règle des trois unités de notre littérature classique : l’action se déroule en une journée, ne quitte pas la ville industrielle de Wuhan et suit l’existence d’un seul personnage, Yin.


Un format bien choisi pour évoquer la vie misérablement banale et dégradée de Yin. Ouvrier dans une usine de métallurgie, l’homme subit de plein fouet les répercussions de la transition économique entreprise par la Chine sous Deng.


À l’aide son style très fluide mais qui ne manque pas de saveur dans certaines descriptions (Chi Li est apparemment classée dans le courant du néo-réalisme chinois), l’autrice dépeint les grands bouleversements de l’économie chinoise à la fin du XXe siècle : mécanisation de la production industrielle sous l’impulsion du modèle japonais – ce qui occasionne des relents de racisme, liés au traumatisme de la guerre sino-japonaise –, difficulté à se loger dignement, à joindre les deux bouts, ne serait-ce que pour manger convenablement au quotidien, impossibilité de se faire des plaisirs, de s’octroyer un « temps-mort »… C’est un corps tout entier dévoué à la collectivité, dont l’individu n’est plus pleinement le maître, que l’écrivaine met en évidence à l’aide de mots toutefois dénués de misérabilisme.


Une vie qui est aussi faite de petits bonheurs, car bâtie sur des fondations à la stabilité sinon parfaite, du moins en partie rassurantes. Une famille modeste mais soudée, sans fard et pourtant dotée de l’essentiel : une affection infaillible, en dépit des écueils auxquels elle doit faire face ; la joie du souvenir fugace de sa propre jeunesse, jadis marquée du sceau de l’idéalisme ; la conviction d’œuvrer à quelque chose qui puisse importer à la société dans son ensemble etc.


Portrait doux-amer d’une existence interchangeable, qui n’en demeure pas moins sensible, et, c’est sans doute là le plus important : fière ; convaincue que l’avenir sur lequel repose le présent sera fait de jours meilleurs… Un roman exemplaire de délicatesse et de concision, et à mon sens une porte d’entrée toute trouvée dans la littérature chinoise contemporaine.


Lu en français dans la traduction de Shao Baoqing.

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le 14 nov. 2021

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