Ce livre, disons-le tout de go, c'est un peu le contrepoint du mouvement #MeToo/#Balancetonporc, qui tend à faire croire à la société tout entière que le monde n'est peuplé que de victimes (féminines) et de prédateurs (masculins) et que leur relation est fondée sur la menace et la violence larvées. Dont il convient bien sûr de se protéger, qu'il faut dénoncer à tout bout de champ, de la main aux fesses au viol, tout est bon pour laisser entendre que la femme est une pauvre proie sans défense dans un monde de loups assoiffés de domination.


Or, Fabienne Jacob nous propose dans ce récit de partir à la rencontre de plusieurs femmes qui font largement mentir ce diagnostic abusif. Et jettent une lumière nouvelle sur nos relations au sexe opposé. A commencer par la narratrice, qui se remémore ses émois face à la gent masculine, la manière dont les hommes l'ont séduite, homme de rue ou universitaires, parfois de manière maladroite, presque inquiétante, mais qui tous ont peu à peu dessiné les contours et les attentes de sa vie amoureuse. Son intensité aussi.


Autant de femmes que de manières de désirer et de recevoir le désir qui s'exprime: ainsi de Farida et Kirsten les fortes têtes hédonistes, éclatantes dans leur façon d'assumer leur corps et leurs envies, touchantes de franc parler, d'explosivité sensuelle et de bon sens proverbial. A l'autre bout du prisme, il y a la nonne revenue des ordres mais qui semble encore porter un voile invisible, celle qui dit que l'amour n'était pas pour elle. Fabienne Jacob se garde bien de porter le moindre jugement sur les choix sentimentaux et sexuels de ses interlocutrices, même si elle envie la fraîcheur, l'honnêteté et la liberté de Farida et Kirsten. La narratrice, qui vient d'être quittée, se sert des autres femmes comme d'un miroir, capable de lui renvoyer ses failles, d'éclairer ses choix et ses envies.


Ce livre de Fabienne Jacob - dont je n'avais rien lu auparavant - m'a énormément plu par sa sincérité, sa sensibilité, la qualité poétique et sensuelle de sa plume, la bienveillance du regard porté sur chaque femme et qui nous dit bien qu'il n'est aucune règle valable pour toutes. Certaines seront flattées d'être sifflées dans la rue, d'autres s'en offusqueront. La narratrice souligne aussi, avec une certaine nostalgie, la disparation des pratiques telles que le sifflement justement, et craint de vivre dans un monde où plus aucun homme ne suivrait une femme dans la rue.


Ces pages m'ont évoqué la chanson de Souchon, Sous les jupes des filles, la séduction comme un jeu (de dupes), une forme d'obsession du corps, du plaisir et de la perspective de l'étreinte qui gouverne les échanges dès lors qu'un homme aborde une femme (entendre aussi Un homme à bord d'une femme). J'ai reçu ce livre comme un plaidoyer en faveur de la liberté de chacun de vivre son désir comme il le souhaite, tout en soulignant son caractère - son charme - incontrôlable, incontrôlé. Mais au fond, qui chasse l'autre ? La femme le peut tout aussi bien que l'homme, et c'est aussi à cela qu'invite en creux la narratrice. J'ai aimé aussi les rappels sur la forme organique, sensorielle du désir : derrière le vernis civilisationnel bouillonnent phéromones, odeurs musquées, tendres muqueuses qui s'assouplissent, sens en alerte, coeur haletant.
Le désir enfin rendu, rappelé à son animalité première.


Des propos en totale opposition avec les diktats hygiénistes, puritains et moralisateurs qui cherchent à brimer, brider et culpabiliser les expressions désordonnées du désir. Par nature,le désir est liberté, et si son expression peut parfois ne pas faire l'unanimité, du moins est-il nécessaire, urgent, de le laisser vivre, se dire et se faire. La plume de Fabienne Jacob est une invitation à la sensualité, à la conversation, à la douceur du gynécée, aux promesses de caresses inattendues. Une ode aussi à l'élan du désir, moteur essentiel de tout être humain :



Des élans, j'en avais eu dans ma vie, je préfère ne pas me souvenir des élans anciens, je garde mes souvenirs pour l'instant, je les retiens de m'envahir, je ferme la vanne, sinon je me laisserais submerger. Les soirs d'impatience, le corps entier n'est plus qu'un coeur qui bat, les chaussures à talons, les trottoirs mouillés, les rues qui sentent les fleurs, la terre humide et odorante, les jours d'élan, on est comme un fleuve qui va se jeter dans la mer, on ne peut faire autrement qu'aller vers l'estuaire, on est attiré, c'est plus fort que nous, des élans j'en avais eu d'autres, surtout pour des hommes déraisonnables qui émettaient des particules attractives dans le noir. (...) L'élan est ce que j'aurais le plus aimé dans une vie, devenir un fleuve, couler vers l'estuaire, ces personnes vers qui on va, vers qui on coule, on monte les escaliers pour aller les rejoindre dans les beaux soirs, on court vers eux, on ne pèse plus, on n'a plus de matérialité, on quitte notre état de corps solide, on n'est plus soumis à l'attraction terrestre, mais à l'attraction de l'autre.



Un hymne de toute beauté au désir & à sa liberté d'expression.
Fabuleux.

BrunePlatine
9
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le 3 févr. 2019

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