J'ai pu constater avec désespoir que beaucoup de SensCritiqueurs notaient bas des classiques ou des chefs-d'œuvre pour le dérisoire prétexte que ça les faisait chier. Avoir un avis différent c'est quelque chose mais c'est encore mieux quand ça repose sur des arguments solides, et quand on n'en a pas autant s'abstenir d'écrire des critiques pour ne pas passer pour un con.
Proust semble plus que personne victime de cette tourmente culturelle, toute considération véritablement littéraire mise à part. Car pour le coup ce n'est vraiment pas un classique ayant volé sa réputation de chef-d'œuvre. Mais le fait est qu'on le présente par trop souvent sous une version tronquée ayant plus d'une fois dégoûté les lycéens des plaisirs de la lecture.


Soucieux de faire passer le goût de la littérature à la jeunesse, certaines personnes ont un jour eu l'idée de créer les classiques abrégés, en charcutant ignominieusement Les Misérables ou Les Trois Mousquetaires. Malgré le potentiel d'une telle entreprise, elle n'en demeure pas moins foncièrement fausse... Pourquoi, quitte à vraiment faire découvrir la littérature, ne pas mettre entre les mains de nos chers têtes blondes, des Île au trésor, Vendredi ou la vie sauvage ou autres Huckleberry Finn ? Aussi longs et faciles à lire que des classiques abrégés, ils auront au moins le mérite de ne pas être présentés sous une version tronquée dont on aura supprimé une partie de l'intérêt intrinsèque.
Un amour de Swann en est un exemple paradigmatique, et s'il ne porte pas l'étiquette de classique abrégé, c'est parce que ce statut n'est qu'officieux, va savoir pourquoi.


Effectivement, Du côté de chez Swann est un roman ardu. Eh bien pourquoi ne pas assumer et le laisser aux programmes universitaires, plutôt que de forcer la main aux lycéens que la lecture répugne déjà assez pour qu'on les en veuille encore plus rebuter ? "Un amour de Swann" n'est pas foncièrement plus facile à lire que "Combray" ou "Nom de pays : le nom" ; à tout le moins sa construction plus narrative que le reste du roman sied-elle davantage aux allergiques du papier. L'opportunité est double : non seulement l'apparence de ce chapitre est plus ragoûtante que le reste, mais en plus c'est le seul de la Recherche du temps perdu à pouvoir s'isoler du corps narratif général. Mais la conséquence en est double également : non seulement son intérêt intradiégétique en pâtit du même coup, mais en plus cette isolation n'apporte strictement rien à l'étude du roman. L'unité de ce chapitre se remarque déjà à la lecture du Côté de chez Swann, à quoi bon en faire un roman indépendant...


Si vous êtes un lycéen qui veut s'intéresser à la littérature, commencez par autre chose que Proust, d'accord, mais quitte à ne se borner qu'à la lecture du tome 1, ne limitez pas votre lecture à cette deuxième partie, qui ne restituera jamais la saveur de la Recherche du temps perdu en elle-même, ni même du Côté de chez Swann, la seule véritable lecture que vous pouvez en faire.

Aldorus
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le 30 janv. 2018

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