Plus on voyage, plus on se rend compte de l'immensité de ce qu'il nous reste à voir.

Ça lui a pris comme ça, Martijn Doolaard, un photographe et graphiste néerlandais : un jour, il a décidé de se poser. Mais pas n'importe quelle pause. Pas la pause de milieu de journée qui s'étale, pas la pause hebdomadaire du weekend, pas même la pause de plusieurs jours ou semaines pour aller se balader ou crapahuter en hauteur. Plutôt le genre de pause qui commence comme une idée de projet aussi vague que folle, et qui se termine par un périple de plus de 16 000 kilomètres d'Amsterdam à Singapour avec pour seul compagnon de voyage un vélo.


Mais Martijn n'avait pas du tout prévu ça. Son idée, à l'origine, c'était tout simplement de prendre le large, de quitter son cocon hollandais. Enfourcher son vélo sans autre direction que l'horizon à l'Est. Rouler vers l'Orient, rien de plus, rien de moins. Il savait qu'il s'embarquait dans un long voyage, il n'est pas pour autant parti sans s'équiper, se préparer, se renseigner un minimum ne serait-ce que pour les questions de visas qui se poseront de manière régulière tout au long de son parcours, à chaque frontière rencontrée au-delà de l'Union Européenne. Mais malgré cela, l'improvisation semble avoir toujours été le maître-mot de son voyage.


Rien ne l'avait préparé à la traversée des immenses plateaux sauvages à l'autre bout de l'Europe, à l'ascension des très hauts cols dans les montagnes du Moyen-Orient, aux aléas administratifs en Inde et dans les pays d'Asie du Sud-Est. Il n'avait pas prévu de de camper au beau milieu de la jungle parsemée de temples birmans incroyables, de parcourir des immenses lacs de sel à l'instar du Salar d'Uyuni, de croiser et recroiser autant de gens sur sa route. Au-delà des paysages renversants de diversité auquel le livre fait honneur (le format et la qualité des photos sont excellents), les rencontres rythment aussi son périple, entre les voyageurs perdus dans leur odyssée personnelle comme Martijn qui feront un bout de chemin ensemble, les marques d'hospitalité régulières, et même les aventures amoureuses qui font presque vaciller le projet, racontées de manière aussi sobre et pudique qu'intense et parfaitement intelligible. Un peu comme Bernard Ollivier dans sa Longue Marche, entre Istanbul et l'ancienne capitale chinoise Xi'an (distance de 12 000 kilomètres qu'il parcourut à pied en 4 ans, à raison de 3 ou 4 mois par an), l'histoire n'est jamais évoquée sous l'angle de l'exploit personnel.


Tout n'aura pas été rose, évidemment, on ressent à de nombreuses reprises des coups de mou, des doutes, des hésitations, des difficultés, voire même des dégoûts. Le livre se lit autant comme un récit photographique que comme un journal de bord, communiquant autant sur l'état d'esprit du voyageur, avec ses buts et ses faiblesses, que sur les surprises qui jalonnent inévitablement un tel parcours. On en aurait presque oublié la dimension renversante de l'épreuve. "Plus on voyage, plus on se rend compte de l'immensité de ce qu'il nous reste à voir" (Gunther W. Holtorf, célèbre voyageur allemand) : voilà un constat que l'on peut facilement partager, pour un récit qui donne férocement envie de foutre le camp. Martijn, depuis la parution de ce livre, a d'ailleurs déjà récidivé : il a cédé à de nouvelles pérégrinations, toujours à vélo, et se trouve actuellement au Pérou, pour une expédition traversant tout le continent Américain, de Vancouver jusqu'en Patagonie.


Quelques caractéristiques techniques du voyage :
- Distance totale parcourue à vélo : 16 032 km.
- Distance maximale parcourue à vélo à partir d'un point fixe : 1136 km.
- Dénivelé cumulé : 90 417 m.
- Journées passées en selle : 212.
- Vitesse maximale : 73 km/h.
- Vitesse moyenne : 17 km/h.
- Distance maximale parcourue en une journée : 154 km.
- Point culminant : 3615 m (au Kirghizistan).
- Altitude la plus basse : -22 m (mer Caspienne en Iran).
- Poids de Martijn au départ : 80 kg.
- Poids à l'arrivée : 68 kg.
- Poids maximal du vélo : 62 kg.
- Nombre de crevaisons : 7.
- Nombre de changements de pneus : 2.
- Nombre de chutes : 0.



Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Charles Baudelaire, extrait de L'Invitation au voyage, issu des Fleurs du mal (1857).


En photos : http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Un-an-a-velo-d-Amsterdam-a-Singapour-de-Martijn-Doolaard-2017

Morrinson
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes « beaux livres » et Bibliophilie pas vraiment obsessionnelle — 2019

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le 8 mars 2019

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