Ken Follett . Une colonne de feu . Une histoire de femmes d'Etat dans un contexte unanimiste .

Les amateurs de Ken Follett dont je suis seront peut- être au départ un peu déçus à la lecture de ce dernier tome de la trilogie commencée en 1989 avec les Piliers de la terre . On n'y retrouve pas forcément en effet la même verve que dans d'autres romans ( par exemple Le vol du frelon , L'arme à l'oeil ou Le pays de la liberté ) .


On pourrait même dire que le plus réussi ici est plus peut être la dimension "historique" que la dimension "roman". Les personnages de fiction tels Sylvie Palot ou Ned Willard ne sont pas forcément les plus intéressants à suivre .

Pourtant ce roman n'en reste pas moins passionnant à mon sens pour deux raisons.


La première est qu'il nous montre de façon synoptique le destin simultané de trois femmes d'état au coeur de l'histoire moderne européenne: Elisabeth I , Catherine de Médicis et Marie Stuart , la première occupant une place prédominante par rapport aux deux autres . A l'inverse les personnages masculins sont presque secondaires qu'il s'agisse du pape ou de Philippe II d'Espagne par exemple , ou peu à leur avantage : Charles IX ou "Scarface" : Henri de Guise le Balafré et son âme damnée fictionnelle : Pierre d'Aumande.


Je recommande au passage la lecture" en V.O" de " A column of fire" car , comme pour les films , on y gagne beaucoup . La version poche ayant en outre l'avantage d'être déjà disponible en France , ce qui n'est pas le cas pour la version française .


Elisabeth I est sans doute un exemple remarquable de ce que Boris Cyrulnik a appelé résilience. FiIle d'Henri VIII et de l'infortunée Ann Boleyn , elle a en effet connu une enfance et une adolescence difficile , ballottée de château en château , voire menacée .Elle n'avait ni la beauté , ni la double couronne de Marie Stuart . Pourtant , elle fut avec Victoria et Elisabeth II , une des trois grandes reines de Grande Bretagne .


Ken Follett nous la décrit d'ailleurs page 205 :"Ned would have gone to bed with Elisabeht in a heartbeat. And yet , she was not beautiful . She had a big nose and a small chin , and her eyes were too close together . But , paradoxically , she was irresistibly alluring: astonishingly clever , as charming as a kitten , and shameslessly flirtatious . .. "
Elle est donc incroyablement charismatique ; on pense a Bette Davis au cinéma ou encore plus à Flora Robson dans l'Aigle des Mers admonestant en public ses corsaires et Errol Flynn devant l'ambassadeur d'Espagne , avant de les féliciter en privé .


La première partie du roman correspond ainsi à l'année 1558 , année de son arrivée au pouvoir après la mort et le court règne de sa demi soeur Marie Tudor ," Marie la sanglante" . Peu à peu se dessinent sous nos yeux les lignes de force d'une politique , celle d'une femme éclairée , courageuse et non conformiste ( à l'époque où l'on mariait les futurs souverains et souveraines à l'âge de douze ans voire parfois moins et où on assistait tant à la nuit de noce qu'à
l' accouchement des reines "en live" , Elisabeth resta la "reine Vierge"toute sa vie . Il faut dire que le contre exemple des six femmes de son père et l'exécution de sa propre mère n'ont pas du l'attirer irrésistiblement vers la conjugalité ...


Eclairée , elle fut tolérante au moment des guerres de religion qui déchiraient et embrasaient toute l'Europe . Mais elle fut en même temps déterminée à faire l'unité et la grandeur de son royaume et courageuse en osant affronter l'Invincible Armada de Philippe II , épisode raconté dans la dernière partie du roman.


Ken Follett nous montre bien également qu'Elisabeth était souvent pingre et payait très peu ceux qui étaient à son service : Walsingham le chef de ses services secrets est mort dans l'indigence malgré un sens remarquable du service public .
Louis XIV à l'inverse versera des pensions colossales à ses courtisans de Versailles pour les neutraliser .Cela contribua au déficit record du budget du royaume , une des causes proche et lointaine de la révolution française . Peut être une réminiscence d'un enfance difficile,
Elle s'avère tout autant être remarquablement intuitive et perspicace . Elle a le sens des "ressources humaines" ce qui n'est pas le cas de Marie Stuart .


Elle répugne à faire exécuter la même Marie Stuart , sa cousine , ce qui fait d'ailleurs contrepoint au massacre de la Saint Barthélémy du dimanche 24 Août 1572 , magnifiquement décrit par Follett ( il est vrai que c'est un "morceau de choix " pour les romanciers , tels Robert Merle , dans sa série des Fortune de France ou encore plus Alexandre Dumas dans La Reine Margot . ).


Follett oppose ainsi astucieusement le grand moment d'hypocrisie qu'à été ce massacre parisien déclenché à l'occasion d'une noce royale entre un protestant et une catholique , et la guerre secrète , ou guerre subversive , déjà très "moderne" , menée par Elisabeth , puisque l'on sait qu'elle fut peut être une des premières a avoir créé et utilisé un service secret organisé et très performant , avec espions et cryptologues .


Peut être Follett fait il preuve malgré tout d'un peu de chauvinisme car les personnages les plus intéressants ont tendance à être anglais ou écossais et les plus antipathiques sont à l'inverse en grande majorité français tant il est vrai "qu'on file à l'anglaise en France" et " à la française" outre Manche .


Le second aspect qui m'a intéressé et la tentative comme souvent chez Follett de présenter dans des lieux divers et à la même époque une quantité impressionnante de personnages , un peu comme dans un orchestre symphonique ou chaque instrument ou groupe d'instruments jouerait un rôle précis au service ici d'une comédie humaine .Et cela est bien construit .


Cela fait penser à l'unanimisme que Jules Romain a mis en place en son temps dans son immense série fleuve des "hommes de bonne volonté".


En définitive donc , une lecture qui peut être des plus féconde . J'apprécie beaucoup tout autant , pendant la même période des Tudors , tous les romans de C .J Sansom et leur personnage principal , l'avocat bossu et incroyablement talentueux , Matthew Shardlake .


Quant au titre enfin " a column of Fire" , il fait peut être allusion à cette espèce de colonne vertébrale anglaise qui s'est échafaudée ( justifiant ainsi la trilogie " les piliers de la terre " ) au 16 ème siècle dans les passions et le sang , pour enfanter une grande nation moderne.

Créée

le 16 déc. 2018

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