Une question de temps par Jude

Alice a vingt et un ans et c'est la m*rde dans sa vie. Un matin, elle se réveille aux côtés de son patron. Jusque-là, on peut penser à une erreur d'appréciation, sous l'effet de l'alcool. Quand elle s'aperçoit qu'il ne bouge pas d'un iota, la panique la gagne. Quand elle remarque un sac rempli de billets, elle n'hésite qu'à moitié. C'est peut-être sa chance de tout recommencer à zéro, sans se soucier de l'argent.

Sauf qu'on ne quitte pas une ville en emportant avec soi un tas de fric qui ne nous appartient pas. Alice va l'apprendre à l'issue d'une longue fuite, au cours de laquelle elle va rencontrer Bubble Gum, une fugueuse de quinze ans. Pour Alice, il est temps de trouver un peu de stabilité. Elle se souvient de la seule personne qui lui ait tendu la main quelques années auparavant : Elton. Dès lors, Alice va tout faire pour échapper à son passé, à ses poursuivants qui ne sont vraiment pas des rigolos, et parfois aussi, à Bubble Gum.

Ce roman noir qui est assez court ne m'a pas complètement embarquée et j'en suis la première désolée. Ce n'était pas le bon moment pour le découvrir.

Cela dit, je reconnais les qualités de ce livre : il faut filer à toute allure, car le temps d'Alice est compté.

J'ai bien aimé l'histoire de sa fugue : l'horreur qui l'a poussée à quitter le domicile familial, le manque de communication avec ses parents plongés dans le deuil, sa propre culpabilité. Alice avait pourtant toutes les cartes en main pour grandir droit, les pieds sur terre, mais un événement incongru et absolument terrifiant a fait basculer sa vie et celle de sa famille dans la torpeur. Et plutôt que d'affronter le regard de ses parents, plutôt que d'affronter son propre regard dans le miroir, Alice a choisi de fuir, devenant alors une proie pour les hommes. Obligée de s'endurcir, de développer un sens aigu de la perception d'autrui, Alice est un grand personnage de roman, complexe et intransigeante, en quête de rédemption.

Cette attitude est contrebalancée par un personnage plus doux et solaire, Elton. Ce bon vieux Elton, enfin à la retraite après des années à exterminer les rats, vit au bord d'une rivière et allonge le fil de sa canne à pêche chaque matin au lever du soleil. L'image idyllique de la petite maison au fond des bois avec un ponton qui donne sur la rivière. Sublime Amérique.

Et puis, il y a Bubble Gum, toute jeune Afro-Américaine qui a souffert dans une famille dysfonctionnelle. Elle s'en est échappée pour sauver sa peau et s'émanciper des tâches qu'on lui impose, en espérant que son absence alertera les services sociaux qui pourront enfin s'occuper de son petit frère handicapé. Alors qu'elle croise la route d'Alice, Bubble Gum est encore naïve ; le monde des hommes est dangereux et son caractère ouvert et en quête d'amour la rend vulnérable. Elle comprend qu'en voyageant aux côtés d'Alice, elle a une chance de survivre, alors elle s'attache à l'idole, se presse contre elle, surtout quand cette dernière la rejette. Bubble Gum, c'est Alice, six ans auparavant. Et la dure Alice prend alors la frêle Bubble Gum sous ses ailes.

Mais cette histoire ne serait rien sans son "méchant". Un personnage assez atypique, un homme à la taille d'enfant, moqué et méprisé, à l'esprit affûté, qui va poursuivre Alice pour récupérer son argent. Un méchant qui laisse les actes de violence à son acolyte, un monstre de muscles au cerveau en rade, Phillip.

Si l'intrigue est vue et revue, la force de ce roman réside dans ses personnages et l'histoire personnelle qui les définit. Issu de la collection néo-noire chez Gallmeister, la violence est bien présente, qu'elle soit intériorisée ou extériorisée, c'est du noir de noir, mais pas dénué d'espoir.

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