Une vie
7.2
Une vie

livre de Guy de Maupassant (1883)

Toute la mesquinerie réaliste à propos d'Une vie, parfois drôle souvent barbant.

Lecture commune des secondes de l'établissement où je travaille, j'ai dû le faire étudier à mes élèves. Mon dieu quel calvaire ce fut pour eux, même pour les élèves de bonne volonté. Ma relecture ne fut pas moins douloureuse que la leur.


Pourtant à étudier, il est très intéressant. Son style souvent sous-estimé par les amateurs se révèlent en réalité très riche, sa mise en scène est aussi très intéressante et surtout parfaitement structurée. Les nombreux extraits centraux de ce roman ne sont donc pas déplaisants à analyser, Maupassant fait ici oeuvre d'un véritable talent de romancier contrairement à ce que j'ai pu lire ici et là.


Pourquoi donc est-il si ennuyeux quand le projet de l'auteur se trouve si bien accompli ici ? C'est que nous avons ici affaire à une oeuvre purement réaliste. Alors que les plus grands auteurs qu'on aime catégoriser comme réalistes, Stendhal, Flaubert ou Balzac pour les plus célèbres, restent finalement fondamentalement, bien qu'implicitement, romantiques, Maupassant conçoit clairement la vie selon des perspectives typiquement réalistes. Critique acerbe de l'idéalisme et du romantisme, l"écrivain nous livre ainsi une assemblée de personnage médiocres et ridicules. Difficile d'accès pour les amateurs ou ceux qui n'ont pas forcément un instinct littéraire, dès le début de l'oeuvres les portraits des personnages, les descriptions, la narration-même se veut subtilement ironique.
Variant brillamment les focalisations internes, on se retrouve avec notamment des descriptions de paysages qui peuvent paraître romantiques aux novices, ou présentant une vision niaise des situations mais qui sont en réalité le reflet de la niaiserie de nos personnages. Une niaiserie évidemment exagérée dans le seul but de se moquer de ceux qui osent croire à l'amour, de ceux qui semblent désintéressés, et finalement même de ceux qui croient à la beauté.
Il suffit de connaître le réalisme pour rapidement se rendre compte de l'humour acerbe qui parcourt ce roman. Tout est prétexte à dérision. Si vous aimez vous moquer, vous apprécierez cette lecture pourvu que vous ayez perçu cette ironie. Si je n'ai pu m'empêcher d'esquisser un certain nombre de sourires durant cette lecture, rapidement ceux-là tournaient bien vite jaune face à tant de mesquineries de la part du romancier. Quelle facilité ! Créer des personnages ridicules, sans véritable profondeur, ni réalisme, pour mieux s'en moquer ? Procédé facile et gênant toute analyse intéressante d'une quelconque psychologie ou société ! La caricature est un art délicat qui peut facilement perdre tout intérêt en ne devenant plus représentative d'aucune réalité prégnante.


Redondante aussi, cette moquerie de l'idéalisme ! Bien entendu mes élèves, ne percevant pas toute la subtilité stylistique et narrative du roman, ont apprécié les quelques événements tragiques parcourant le roman. Là encore, on sent la mesquinerie réaliste, presque sadique, qui veut absolument faire subir à son héroïne toujours plus d'outrages. Pourtant donc comme je l'ai dit, pour quelqu'un ayant un peu de culture, ou quelques instincts littéraires, le propos du roman est évident, et sa simplicité évidente. Le problème nait alors du fait qu'il suffit de lire la première description de notre héroïne et son premier rendez-vous avec son futur et "tendre" pour deviner l'ensemble de l'intrigue à venir et ne voir ainsi dans celle-ci qu'un radotage quelque peu pervers et voyeur. De la même manière si chaque scène est en soi très dense sémantiquement, de par son style et sa mise en scène, la redondance du propos rend quasiment obsolète cette densité et rend terriblement ennuyant cet étirement des scènes.


Superbement écrit et mise en scène, la mesquinerie et la grossièreté de son propos typiquement réalistes rendent donc cette lecture terriblement vaine et ennuyante et manquant d'ailleurs clairement d'originalité.


Pourtant, j'aimerais terminer sur une note positive ! Il reste pour moi un aspect fondamental et implicite du roman, une perspective profondément féconde et intéressante, naissant de la confrontation parallèle des deux personnages féminins que sont Jeanne et Rosalie, aux parcours similaires mais aux intériorités opposées. J'ai vraiment beaucoup aimé la toute fin du roman, dans laquelle les derniers mots sont laissés à Rosalie, la servante. La fin expose alors un renversement de situation à travers celui du rapports entre les deux femmes. Explicitée trop tardivement, cette perspective globale est, pour moi, seule intéressante ici et aurait méritée davantage de développement. Si "Une vie" était devenue "Deux vies", ce roman m'aurait probablement beaucoup plu.


Je ne peux mettre pour autant au-dessus de six à une oeuvre dont l'entièreté de la lecture fut si douloureuse. J'ai toujours trouvé ridicule la pensée théorique réaliste, superficiellement subversive et réellement mesquine dans la pratique avec Maupassant. Pourtant j'apprécie beaucoup certains romanciers réalistes dont la pensée me semble en réalité parachever la dernière époque romantique désillusionnée que Musset représentait bien qu'évidemment leurs styles tranchent nettement avec ce dernier. Mais à ce style réaliste, je n'ai rien à reprocher. Et d'ailleurs, il serait difficile ici d'accuser l'auteur de quelques faiblesses.


En conclusion : Un ouvrage que je déconseille, si ce n'est pour parachever une culture littéraire car il me semble l'un des romans présentant le plus clairement la théorie réaliste appliquée. (Même si finalement, je considère le naturalisme comme la véritable école ayant assimilé dans la pratique les fondements des principes réalistes. Et les oeuvres de Zola, que j'exècre vigoureusement, en sont un parfait exemple.


PS : Si vous êtes sensible et trouver intéressant le réalisme en soi comme mouvement littéraire, vous pourriez au contraire ADORER ce roman. Mais vraiment, les gars, je vous comprends pas !

Vyty
6
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Créée

le 26 févr. 2015

Critique lue 474 fois

3 j'aime

Vy Ty

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