Ver Sacrum : la Revue de la Sécession viennoise, 1898-1903 : l’ensemble titre-sous-titre est parfait : sobre, informatif, précis. (Et ne parlez pas de deutsch Qualität : Vienne est en Autriche, le livre est italien.) Si vous ignorez ce qu’est la Sécession viennoise, ce à quoi il n’y a pas de honte, vous connaissez peut-être quelques-uns de ces noms : Klimt, Koloman Moser, Josef Hoffmann ? Dans tous les cas, vous pouvez toujours jeter un œil sur internet, c’est une invention qui semble prometteuse. – Pour une liste exhaustive des artistes dont les images figurent dans ce très beau livre, voir la fin de cette critique.
Images plutôt qu’illustrations, car les dessins, litho-, chalco-, zinco- et xylographies reproduits ici incluent cadres ou lettrines, et n’ont rien de secondaire. On peut d’ailleurs regretter que les textes publiés dans la revue – du Rilke, du Maeterlinck, du Hofmannsthal, tout de même – ne sont jamais traduits, et tout juste évoqués dans le volume. (Dans le même ordre d’idées, une préface un peu plus fournie n’aurait pas nui.) Il est vrai que les éditons Skira ne publient que des livres d’art, et que Ver Sacrum coûte déjà l’équivalent de dix kebabs-frites sans boisson dans une ville de province.
Cela dit, qu’est-ce que c’est beau ! Je parle du livre lui-même, soigné, mais aussi des œuvres présentées. La Sécession viennoise, à l’instar de tous les autres sous-mouvements (?) de l’Art nouveau, entendait mettre de l’art dans le quotidien. On peut d’ailleurs repérer cette tension entre création esthétique et société bourgeoise dans certaines des œuvres présentées, comme les décorations d’intérieurs bourgeois présentées par Olbrich (p. 47) ou Josef Hoffmann (p. 76-79), ou même dans les calendriers, novateurs graphiquement mais peut-être conservateurs… du seul fait qu’il s’agisse de calendriers. Le dandysme, ici collectif, a ses limites.
Du reste, les Sécessionnistes avaient compris – comme William Morris et les siens, mais en suivant une autre piste – que la typographie n’était pas une variable d’ajustement du texte. Alors que j’adore Baudelaire, alors que ma connaissance de la langue allemande seize ans après ma sortie du lycée ressemble à la ville de Dresde en 1945, plutôt que lire « Le Mauvais Vitrier » en Arial corps 14 non justifié, je préfère avoir sous les yeux les „Mittheilungen der Vereinigung bildender Künstler Österreichs“ de la page 17 – ça vient de la typographie, de la disposition du texte sur la page, de la plume de Koloman Moser…
Deux choses remarquables pour conclure. D’une part, on parle d’un mouvement réunissant beaucoup d’artistes aux influences très variées – tradition Mitteleuropa pour certains, inspiration hellénisante pour d’autres, recherches vers l’abstraction pour d’autres encore, tentation de l’avant-garde pour tous… –, et qui a produit pendant six ans une revue extrêmement cohérente, dont le contenu a cependant évolué entre 1898 et 1903.
D’autre part, – c’est une chose pas si fréquente, et j’admets que le choix opéré par les éditeurs joue peut-être ici, – aucune œuvre présentée dans Ver Sacrum n’est laide. C’est tout juste si j’ai trouvé que des images d’Emil Orlik ou des esquisses de Klimt ne présentaient guère d’intérêt. Mais il suffit de jeter un œil à la Dépendance („Die Abhängigkeit“) de Leopold Forstner (p. 220), à la Sorcière („Die Hexe“) de Klimt (p. 19) ou aux Amants dans la nuit d’Ernst Stöhr (p. 66) pour faire mieux qu’y gagner au change.


P.S. – Comme promis, la liste des artistes : Ferdinand Andri, Charlotte Andri-Hampel, Josef Maria Auchentaller, Robert von Bach, Rudolf Bacher, Leopold Bauer, Marcus Behmer, Max Benirschke, Leopold Blauensteiner, Adolf Böhm, Josef Bruckmüller, Frieda Doppler, Irma von Duczynska, Josef Engelhart, Hilde Exner, Nora Exner (Nora), Franz Fiebiger, Leopold Forstner, Alois Hänisch, Josef Hoffmann, Ludwig Hoffmann, Rudolf Jettmar, Gottlieb Kempf-Hartenkampf, Fernand Khnopff, Reinhold Klaus, Gustav Klimt, Max Klinger, Friedrich König, Johann Viktor Krämer, Max Kurzweil, Charles Léandre, Maximilian Lenz, Wilhelm List, Elena Luksch-Makowsky, Margaret Macdonald-Mackintosh, Charles Rennie Mackintosh, Frances MacNair, Leontine Maneles, Franz Messner, Georges Minne, Carl Moll, Koloman Moser, Alfons Mucha, Karl Müller, Josef Maria Olbrich, Emil Orlik, Rudolf von Ottenfeld, Marietta Peyfuss, Maximilián Pirner, Minka Podhajská, Henriette von Pokorny, Hans Przibram, Alfred Roller, Wilhelm Schmidt, Ferdinand Schmutzer, Hans Schwaiger, Giovanni Segantini, Jutta Sika, Ernst Stöhr, Leopold Stolba, Franz von Stuck, Otto Wagner, Stanislaw Wyspianski, Fanny Zakucka et des artistes japonais anonymes.

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le 4 févr. 2019

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