Vera Kaplan, la vie, la mort ou la lâcheté comme alternative

Dans Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal (1963), Hannah Arendt déclare qu’ Eichmann n'entra pas au parti par conviction, et n'adhéra jamais aux idées nazies. Chaque fois qu'on lui demandait pourquoi il s'était inscrit, il répondait par les mêmes clichés embarrassés : traité de Versailles et chômage. » C’est d’ailleurs ce qui transparaît dans le film de Michaël Prazan. Bien qu’éloignée de ces arguments mais collaborant avec les nazis, Vera Kaplan, protagoniste juive du roman de Laurent Sagalovitsch, a cette même attitude glaçante parce que c’est précisément le contexte, dit-elle, qui l’oblige à dénoncer ses semblables juifs. Pour l’un comme pour l’autre, les actions qu’ils mènent s’évanouissent dans la volonté d’une force supérieure qui les dépasse, cela en toute mauvaise ou bonne foi. La question de la responsabilité aussi, puisque les actes se trouvent justifiables simplement par l’existence du choix pragmatique entre la vie ou la mort. Ou du moins, un intérêt indifférent aux incompatibilités dont ils ne parviennent pas à s’affranchir.
Le thème avait déjà été abordé notamment par Annette Wieviorka à l’écrit, exploré filmiquement par Gaylen Ross ou Claude Lanzmann. L’auteur prolonge le débat de l’instrumentalisation des juifs par les nazis, qui pour certains participèrent à la réussite de la solution finale. Il repense le degré de responsabilité qu'ils ont eu dans ce crime contre l’humanité. Mais Vera Kaplan n’est pas jugée pour ça, tout comme Stella Goldschlag. Ce qui est mis à mal, c’est l’altérité, dans un contexte où la hiérarchie des normes se trouve inversée, au sein de laquelle toute différenciation promet l’élection ou la mise à mort.
Ce roman aurait mérité des extensions utiles, parce qu’aujourd’hui parler ainsi de la Shoah en 152 pages se révèle un peu juste. Par ailleurs, on est en droit de se demander pourquoi une telle chute à ce roman, puisque Sagalovitsch suggère que la vie de Vera Kaplan aurait été « normale » dans un autre contexte. Pas sûr. Et est-ce que la fin justifie universellement, en tout temps, les moyens ?

MarianneBordreau
6

Créée

le 11 août 2017

Critique lue 131 fois

Cephise Lanoire

Écrit par

Critique lue 131 fois

D'autres avis sur Vera Kaplan

Vera Kaplan
tipi1990
9

Critique de Vera Kaplan par tipi1990

L'histoire se passe donc à Berlin. Récit épistolaire la plupart du temps d'après les lettres de Vera Kaplan, qu'elle écrivait tous les soirs et qu'elle envoyait à sa fille qu'elle avait perdu de vue...

le 28 mai 2018

1 j'aime

Vera Kaplan
MarianneBordreau
6

Vera Kaplan, la vie, la mort ou la lâcheté comme alternative

Dans Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal (1963), Hannah Arendt déclare qu’ Eichmann n'entra pas au parti par conviction, et n'adhéra jamais aux idées nazies. Chaque fois qu'on lui...

le 11 août 2017

Du même critique

La vie est facile, ne t'inquiète pas
MarianneBordreau
5

De la facilité dangereuse en littérature

Cet écrit a la fâcheuse tendance constante d’écarter les qualités de la précision et de l’acuité, pour se morfondre dans les tréfonds d’un bon sens général un peu écœurant. Le titre est d’ailleurs...

le 4 oct. 2017

2 j'aime

Une vie violente
MarianneBordreau
10

La solitude d’un homme au sein du groupe clandestin Armata Corsa

Le film reprend le tournant des années 2000, alors que le nationalisme corse vit ses heures dissidentes en se scindant politiquement. Ce qui est mis en lumière dans ce long métrage, c’est le besoin...

le 1 sept. 2017

1 j'aime

Suisen
MarianneBordreau
9

Suisen, ou le mythe de Narcisse revisité

Dans ce roman, le choix des mots et l’écriture sont particulièrement justes. Qui plus est, l’auteur ne s’embarrasse à aucun moment de considérations superflues et de fioritures scripturales. Le moins...

le 1 sept. 2017

1 j'aime