Je préviens, ce qui suit (quoique ce soit) fait bien la taille d’une critique du cher et adorable AdobaX (Adobarbu Adobartok Adobati Adobattu Adobatman), et fut écrit dans une langue que je crains précieuse et dont je ne sais toujours quoi pensé.

Le titre dit l’essentiel sur ce qu’est ce livre : la vie de l’écrivain Giambattista Vico narrée et écrite par lui-même, à la troisième personne (ce qui justifiera auprès de l’armada qui tient absolument à ce que les Confessions de Rousseau soit la première autobiographie que La vie de Vico n’en est pas une, pas plus que (à chaque livre sa raison) Les Confessions de Saint-Augustin ou Les Essais de Montaigne ou Le discours de la méthode de Descartes etc).

Petit rappel : Giambattista Vico est un écrivain et magistrat napolitain de la fin XVIIeme/début XVIIIeme siècle, connu surtout pour La Science Nouvelle, ouvrage de philosophie toujours étudié, particulièrement par la gente littéraire dû à son importance pour nombre de romanciers (notamment un certain James Joyce, un gars célèbre pour s’être torché dans tous les pubs d’Europe).

Le projet initial d’autobiographie Vico le tient : il nous raconte sa vie, préférant s’attarder surtout sur sa carrière et son travail d’intellectuel. C’est toujours plus constructif que de savoir qu’un-tel fit caca à tel heure en tel lieu et mis zizi dans tel madame tel jour. Vico n’a pas une mauvaise plume, c’est léger, plutôt vivant et rapide, et c’est court. En un siècle qui adorait les pavés sans fin, merci, pas besoin pour nous moderne d’en faire une version abrégée. Vico comme la majorité des intellectuels est orgueilleux/imbu de sa personne et de ses idées/égocentrique, il relate avec joie son ascension, sa marche de victoire en victoire (lisez : de publication en publication) et lit même ses défaites comme des victoires. Cependant, fait agréable, son orgueil ne lui fait pas oublier ces amis, ceux qui l’ont aidé, lui ont permis d’avancer, et l’auteur multiplie les remerciements et hommages. Ce n’est pas tout le monde qui montre une telle honnêteté et générosité.

De plus, à sa décharge, ce n’est pas son orgueil qui lui a dicté l’écriture de sa vie, mais une commande. Un intellectuel italien de l’époque voulait recueillir la vie de quelques écrivains de l’époque, étant sûr que, puisqu’ils étaient tous célèbres, leurs vies seraient toutes exemplaires, et les compiler pour faire un recueil de vies admirables. Légende Dorée des laïques en somme. Ce projet intéressant n’a pas abouti, seul Vico a répondu à sa demande. Pourtant c’est comme si nombre d’écrivain du XXeme siècle avait voulu parodier ce livre inexistant, et nous rappeler que de vie exemplaire, il n’en est point (cf. ô La littérature Nazie en Amérique de R. Bolaño).

Maintenant pourquoi ma note finale ? Un 8 ? Ce livre en lui-même, dans sa matière, son écriture, il ne le mérite pas : Vico ne sait pas faire de sa vie un roman (vs Céline ou Miller), ni avoir une plume dextre au point de fasciner avec les banalités d’une existence (vs Rousseau ou Chamoiseau), ni s’appuyer sur ses expériences pour se plonger dans d’ample réflexion (vs Montaigne ou Saint-Augustin). Ce livre, tout au mieux, est un document : la vie d’un écrivain napolitain à l’époque classique. Et c’est bien là que le charme prend, pour moi.
Vico fournissant ce document évoque (sans même le vouloir) une façon d’envisager l’écriture, les livres, l’esprit, etc qui a disparu, et pourtant à la voir se déplier c’est un pan de l’histoire des intellectuels qui surgit. A l’époque classique nul n’écrivait pour de l’argent, cela n’aurait eu pas de sens : aucun droit d’auteur. Au pire écrivait-on pour les bonnes grâces d’un-tel. Sale, mais moins que pondre un roman par an grâce à un nègre pour pouvoir continuer à mener la vie de bourgeois. L’écriture, de ce fait, ne pouvait être un métier, uniquement une vocation. Le revers évident étant qu’un écrivain dans ces conditions ne peut être que misérable. Et l’était. Sauf s’il avait la chance, comme un temps Vico, de poser son derrière sur telle chaise de haute qualité, ou de pouvoir casser d’une règle de bois les doigts de mioches qui vraiment ne comprennent pas pourquoi on leur fait réciter « Rosa Rosa Rosam Rosae Rosae Rosa etc ». De cette situation à celle de l’écrivain-feuilleton pour celle aujourd’hui de la course au prix ou de l’écrivain 1-par-an-merci-mon-nègre, de pie en pareil. Toujours on attend une intelligente solution.

Point délicieux de l’époque classique et que Vico illustre royalement : l’absence de séparation dans la sphère des écrivains. Vico fut tout à la fois poète, essayiste, avocat, juriste, philosophe, et historien. On sait que l’éparpillement ne produit rien de bon, et Vico aussi l’illustre puisque de tout ce travail peu nous reste et même ce qui nous reste n’est pas excellent. Mais une telle attitude face à l’écriture fait respirer, et évite l’abrutissement qui peut aussi résulter d’une extrême spécialisation, et l’on rêve de pouvoir mener dans une vie plusieurs comme Vico sut le faire, avec plus de réussite. Vico ne fournit pas les clés d’une telle réussite, d’autres venus après peut-être. Cet éparpillement pourtant chez Vico a un point central, non la réflexion mais le style. Pris de passion pour la poésie avant la philosophie (la raison comme ils auraient dit), il ne s’est jamais dédit de cette préférence, et l’importance qu’il accorde au langage et au mythe dans son travail en est conséquence, il cherche dans la philosophie ce qui le préoccupe réellement d’abord. Cela ne l’empêcha pas d’être piètre poète. Ainsi La Science Nouvelle est, et c’était déjà les remarques des critiques de l’époque, mieux écrit que pensée, évoquant beaucoup et apportant moins. Sa vraie force est dans son style. De même si l’on compare La vie de Vico (que Vico écrivit vite, secondaire le considérant) au discours de la méthode de Descartes, proche dans son intention (une autobiographie intellectuelle) mais à l’inverse essentielle pour ce dernier, la différence saute aux yeux : Vico écrit d’autant mieux qu’il réfléchit moins bien que Descartes (serai-je atteint de la même priorité ?). Paradoxe de philosophe qui rappelle la philosophie la plus actuelle (Derrida, Rancière, etc). Peut-être aussi grâce à ça un tel plaisir à ma lecture, comme découvrir le prélude à notre temps, à nos actuelles et encor vivantes manières.

C’est aussi un témoignage sur une sorte d’âge d’or : à l’époque classique la lettre domine en maître, et de même que l’on ne sépare pas vraiment essai, récit, correspondance etc (tout cela est lettre, aujourd’hui peu-à-peu on en vient à comprendre que tout cela est littérature, et sans le mépris que les écrivains du début du siècle dernier trouvaient dans ce terme), il y a une domination impériale de la lettre, parce qu’elle n’a pas d’adversaire réel. Si l’on n’envisage pas qu’elle puisse avoir de pouvoir que les romantiques lui penseront, si l’on n’y met pas l’élan, la folie, l’énergie, la fureur qu’on y mettra plus tard et qu’encor aujourd’hui on y met (Mason & Dixon, le XVIIIeme siècle que tu dépeins, nul n’aurait su le faire à l’époque avec l’énergie et l’ingéniosité avec laquelle tu le fais (sauf Sterne peut-être)) et si elle se trouvait enfermée dans des limites assez précises, elle n’est concurrencée par rien, ni cinéma, ni jeux vidéo, ni télévision, ni radio. Cette absence, ce manque, c’est ce qui assure que la totalité du champs soit à l’écrit. Je sais que me retrouvant à cette époque (ou le siècle qui l’a suivie) ma XBOX me manquerait, mais eh ! je ne serai plus à me saigner de désespoir de la pauvreté des débats littéraires actuels, de leur peu de fougue (enfin messieurs, frappons-nous un peu, la cause en vaut la peine), ni de la faible moyenne de la culture littéraire (et pourtant la France est toujours sur ce sujet en proue). Il ne serait question, si je me retrouvais le soir dans un salon napolitain charmant du XVIIIeme siècle avec ma tasse de café (fraîche nouveauté arrivée d’Amérique), que livres et musiques. C’est une façon d’âge d’or. Que l’on me permette de faire le nostalgique idiot, et de rêver qu’à la Fnac lorsque je demande « quel livre aimez-vous » pour pouvoir conseiller la langue claque autre chose que Levy ou Coben.

je me questionne où toutes ces phrases me mènent

Vico nous amène dans l’atmosphère étonnante des universités et magistratures de l’époque classique, et je suis pris au charme de ces gens nageant dans une culture antique, discutant sans fin sur des sujets philosophiques ou juridiques, et se piquant de poésie. Dans de longue robe (je les vois ainsi), avec leurs éternellement ridicules perruques blanches, ils sont assis calmes et curieux sur leur chaises, et leurs existences demeurent dans les sphères de l’esprit, loin des luttes bien réelles et brutales qui ont lieu juste une rue plus loin. Ces êtres, que de près je trouverai sûrement grotesques et idiots, me touchent dans la distance, par leur ardeur à réfléchir, peser la pensée de chacun, à féliciter un auteur, le soutenir de toutes les manières possibles, à promouvoir son œuvre, à ce besoin que tout soit fait, lu, entendu, juger ensemble (face à l’assemblé du tribunal, ou autour d’une table dans une salle d’université, ou entre amis regroupés dans la chambre, etc). Cette époque où les distances existaient, lourdes, pesantes, des caps à franchir, et l’on vivait une amitié entière par des lettres, et avec les individus les plus distants, éloignés on travaillait communément sur les problèmes les plus graves ou élevés, et si jamais l’on se croise dans une rue peu de chance il y a que l’on se reconnaisse, puisque l’on ne s’est jamais vu. L’Europe était un grand réseau de routes postales. Les nouvelles venaient de toutes parts, mais en retard, et l’on apprenait que notre dernier ouvrage était à la mode alors qu’il ne l’était déjà plus. L’ailleurs était rempli de mystères et de questions, et si notre ami ne nous envoyait plus de lettre bien souvent on ne pouvait en savoir la raison.

A l’horizon, lointain comme le nord du monde, la Hollande, ô républiques héroïques ! Vico en tant qu’intellectuel classique ne pouvait que communiquer avec les intellectuels hollandais, en discuter les œuvres, les créations, et à travers son texte tout napolitain passe la magie de la Hollande encore neuve, vivante, pleine de feu, encore à construire peu-à-peu et la Liberté et le Capital, et le bien et le mal. Il y eut des souvenirs de ces peintures de ports du nord au soleil blanc, ces savants penchés sur des manuscrits et entourés d’ombre, ces intérieurs de brasseries loufoques et joyeuses, ces cahutes entourés de cours d’eau. Un parfum passant de la Hollande de l’époque classique.

A quand un Pynchon pour écrire l’épopée de ces républiques qui affrontèrent toutes les monarchies unies d’Europe ?

Donc pour cela un 8 ? Un pur plaisir de suggestion, une prolifération de rêvasseries et de vagues réflexions – pris dans la souplesse du style de G. Vico se fut un voyage dans le passé, un voyage dans un pays ridicule et magique, grandiose et maladroit, l’ancêtre du mien, dont mon peuple (les intellectuels) s’éloigne et dans le même le rejoint.

J’arrête ici cette balade à l’époque classique qui s’est bien trop étendu. Et moi qui me croyais résolument moderne…
Tristouil-Hugo
8
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le 6 déc. 2013

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