Gérard Manset, artiste, compositeur et interprète, est connu pour la qualité des textes qu’il a écrit pour toute une génération de chanteurs français, parmi lesquels Julien Clerc, Raphaël, Axelle Red, Axel Bauer. Dernier succès, il signe un titre dans la BO du dernier film de Leo Carax, Holy Motors.

Mais ce sont ses textes pour Alain Bashung qui marque un certain tournant dans sa carrière. Le titre « Il voyage en solitaire » paraîtra sur les albums des deux artistes. De cette complicité entre les deux hommes, plusieurs partages de titres, « Comme un lego » figure également sur le « Bleu Pétrole » de Bashung sorti en 2008, et sur « Manitoba de répond plus » de Manset, qui signe désormais ses albums et textes de son seul nom de famille.

Auteur singulier, Manset fuit la foule et le public, et se consacre beaucoup aux textes des autres. Cet Autre, avec un grand A, sera pour lui la figure énigmatique d’Alain Bashung, auquel il consacre ce livre, « Visage d’un dieu inca », en hommage à ce personnage hors normes, ni Dieu ni vraiment « catholique », un dieu au visage acéré, issu d’une polythéisme pas nécessairement bienveillant mais toujours ensorcelant et puissant.

Qui était l’homme au visage de dieu inca ?

Manset narre ses rencontres avec Alain Bashung en différentes occasions, parfois à des années d’intervalles, parfois dans une intimité partagée, ou rencontre noyées dans la distance de la foule. Celui qui aimait déguster des fruits de mers au Wepler de Place de Clichy, qui épousa la chanteuse Chloé Mons, qui vivait dans une impasse privée mais à Barbès, était, comme le dieux incas, un être de paradoxes et d’extrêmes.

Avec la finesse de son écriture, Manset raconte Bashung, leur relation d’homme à homme, de compositeur à artiste : « Qui était le manipulateur ? (…) Nous étudier ou nous tester ainsi, était-ce indispensable ? Indispensable contenait « penser » et « sable », insaisissable contenait « saisir » et « sable », et il était ainsi, le sablier ou bénitier d’une plage abandonnée, d’une vaste crique ou conque…C’était cela son secret, placidité des lents glissements à la géologie parfaite, des mouvements tectoniques quasi imperceptibles, des fissures telluriques…tout cela dans un verre d’eau ».

Ce livre se lit comme une ultime chanson à un ami parti trop tôt, à l’artiste d’une époque dont la page de gloire commence déjà à se tourner lentement, partagé qu’est l’auteur entre l’émotion de la reconnaissance (de la connaissance parfois) d’une jeune génération envers Alain Bashung à sa mort, et l’habituelle exploitation médiatique suit inévitablement un tel événement dans le monde artistique.

L’album « Bleu Pétrole » reste une œuvre partagé à plus d’un titre, conclue par le dernier titre, présent sur les albums des deux hommes, « Il voyage en solitaire » :

Il voyage en solitaire

Et nul ne l´oblige à se taire

Il sait ce qu´il a à faire

Il chante la terre

Il reste le seul volontaire

Et puisqu´il n´a plus rien à faire

Plus fort qu´une armée entière

Il chante la terre

Mais il est seul

Un jour

L´amour

L´a quitté, s´en est allé

Faire un tour

D´l´autr´ côté

D´une ville où y avait pas de places pour se garer.

Et voilà le miracle en somme

C´est lorsque sa chanson est bonne

Car c´est pour la joie qu´elle lui donne

Qu´il chante la terre

Manset achève son livre sur son voyage à lui aussi, en solitaire, à la mort de son ami, refusant comme souvent des propositions de scènes ou de télévisions sur le thème de Bashung, en direction de nouveaux textes grâce auxquels, à défaut même de les chanter, trouver enfin ce que nous cherchons tous à notre manière, une place où se garer.

Emma Breton
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le 15 avr. 2013

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