Le bitume avec une plume

La cité a enfin trouvé un porte-parole fort en mot qui ne les mâche pas mais les recrache avec style. Entre débit verbal retranscrit par la plume et slam déchaîné sur le bitume, Rachid grave chaque page de ses pensées d’une température chaude emprunt de poésie et d’argot. En voici un extrait qui parle de lui-même :

"La France nous baise
Sans jamais nous dire je t’aime
Pourquoi quand elle a ses règles
C’est moi qui saigne ?"

On passera une grosse dédicace à Sarkozy et sa karcherisation programmée pour étouffer comme il se doit le poumon de la cité. Le titre Viscéral ne trompe pas et trempe direct dans la chair de son personnage, Lies et son environnement, la cité, la tess, la mère de tous les immigrés qui voit ses enfants prendre des chemins qui déclenchent parfois des hostilités. La réussite, l’amour, le rêve paraissent être bannis de ce lieu préférant agir sans réfléchir, cramer plutôt que d’écouter, tuer plutôt qu’aimer.

Au départ, Lies, champion de France pro des welters, entraine Teddy et Samir pour le gala de boxe de Marseille, gère un taxiphone avec un ami bardé de diplômes et poursuit sa carrière d’éducateur social au sein d’un centre pénitencier. Une annonce pour un casting de film et l’arrivée de la jolie Shéhérazade dans sa vie auront tôt fait de rapporter un arc-en-ciel sur la grisaille des bâtiments mais la cruauté de la vie étant ce qu’elle est, un chapitre décisif déclenche une vague d’événements propres à augmenter le taux de suicides (A l’heure des avalanches).
Et toutes ces histoires satellites (la mort de Ouasine, le détenu, le braquage de Magueule et Loudefii) ne se recoupent que pour voiler d’un noir opaque cet univers qu’est la cité. Avec Viscéral, les yeux s’accrochent aux lettres, au discours d’un guide bien calé pour nous rapporter dans les moindres détails tout ce qui se passe.

Pas étonnant d’y voir en semi-filigrane ce que Rachid a déjà pratiqué, de la boxe, du cinéma et l’écrit remis en abyme avec le scénario du film de Lies intitulé Viscéral.

Percutant comme une belle droite bien assaisonnée.