Un roman graphique féministe et incandescent

Le titre original, "Diary of a Teenage Girl", laisserait présager une suite d'états d'âmes adolescents dans la transition vers l'âge adulte, mais ce magnifique roman graphique est loin de se résumer à cela. Le titre français en donne un indice éclairant : "Vite, trop vite", c'est l'histoire de Minnie, ado ingénieuse et pleine d'esprit, trop vite rattrapée par la violence patriarcale et la solitude de la dépression.


C'est avant tout un journal, et en utilisant ce genre littéraire, l'autrice nous plonge dans le regard tantôt enthousiaste et naïf, tantôt déboussolé et désenchanté de son héroïne. Nous découvrons le San Francisco des années 70, les quartiers mal famés, la famille, les amis à hauteur de cette adolescente esquintée, ce qui provoque un fort élan d'empathie et de complicité pour les lecteurices.

C'est aussi un journal intime, où sont écrits les secrets les moins avouables d'une ado séduite et manipulée par le petit ami de sa mère, Monroe, 20 ans de plus que notre heroïne. Ce béguin juvénile va vite se transformer en relation toxique et destructrice pour Minnie, au nez et à la barbe de sa mère qui fait preuve d'un aveuglement sidérant, au sein d'une famille dysfonctionnelle où les hommes ne sont jamais présents, mais toujours dominants.

C'est en cela que l'on peut considérer ce roman comme foncièrement féministe : à travers l'emprise de Monroe sur celle qui pourrait être sa belle-fille, l'autrice dévoile un monde d'hommes sans aucune impunité, prêts à tout pour satisfaire leurs envies sexuelles auprès de jeunes filles qui surjouent les codes de la sexualité pour essayer d'exister, mais sont en manque infini d'amour.


Les dessins en noir et blanc, ainsi que les planches de B.D, contribuent à donner à l'histoire un aspect brut, radical, un peu à la manière du Black Hole de Charles Burns. Le tracé précis et aiguisé donne à voir la ville comme un terrain à la fois excitant et hostile, mais il met également en valeur la sensibilité de ce journal à fleur de peau, où de grands portraits en pleine page montrent les regards tristes, perdus des protagonistes.


Néanmoins, ce roman graphique ne distille pas seulement la noirceur d'une société sexiste et addict : il donne aussi espoir, aussi inattendu que cela puisse paraître. L'autrice esquisse avec beaucoup de finesse l'évolution d'une presque-jeune femme, qui lutte contre ses démons intérieurs et extérieurs, mais le fait avec humour, malice et sans oublier de rêver, ce qui la sauve à plusieurs reprises.


C'est pourquoi, malgré des moments particulièrement éprouvants, on ne ressort pas totalement plombés de cette lecture, mais plutôt avec un goût doux-amer en bouche, à l'image du titre à la fois enthousiaste et inquiétant.



Olivier_Royer
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 7 juin 2025

Critique lue 1 fois

Olivier Royer

Écrit par

Critique lue 1 fois

D'autres avis sur Vite, trop vite

Vite, trop vite
Olivier_Royer
8

Un roman graphique féministe et incandescent

Le titre original, "Diary of a Teenage Girl", laisserait présager une suite d'états d'âmes adolescents dans la transition vers l'âge adulte, mais ce magnifique roman graphique est loin de se résumer...

le 7 juin 2025