Critique de Voici des ailes par Pish
La petite reine, catalyseur de la libération des mœurs. Les uns apprécieront les éloges de la bicyclette, les autres les tourments de la passion amoureuse.
Par
le 28 déc. 2013
Quelle ne fut pas ma surprise quand, peu de temps après avoir fermé le doux éloge de la bicyclette de Maurice Leblanc, je tombais par hasard sur une chronique de M. Louis Sarkozy qui faisait l’éloge de la cousine à moteur de la petite reine. En lisant ces quelques lignes de la coqueluche médiatique du moment, j’ai été frappé de retrouver un certain nombre de thèmes déjà présents chez le père d’Arsène Lupin, dans un style plus pauvre et pour une cause bien moins noble évidemment. Cette critique, je ne l’aurais sans doute pas écrite sans ça, tant je n’ai rien à redire sur ce livre qui m’avait déjà conquis avant de le lire : Maurice Leblanc, dans ce petit roman champêtre, où la bicyclette libère les corps et les esprits, prêche chez moi un convaincu. Mais j’ai maintenant la conviction que ce roman n’est pas adressé à moi, qui voit dans la simplicité et l’attention au monde la clef de l’épanouissement, mais bien à un adepte de la « philosophie de la moto » comme Sarkozy fils.
Chez Leblanc comme chez Sarkozy junior, on chante la liberté et l'ouverture au monde qu'apportent les deux-roues, pourtant la vision donnée de ces deux notions est aux antipodes l'une de l'autre. D'un côté, l'amoureux de la moto défend avec passion une liberté égoïste, où l'on joue avec la mort (la sienne, mais souvent aussi celle des autres) et la tristesse des proches. Louis Sarkozy, en filigrane, souhaite une liberté de prédateur, qui n'a que faire de celle des autres : la moto qui, de son propre aveu, n'a aucune praticité évidente, est la revendication d'un droit de nuisance par le bruit, par la vitesse et par le pétrole. La moto serait également un moment de connexion avec la nature, avec son environnement, que je n'arrive pas à saisir. Autant, je comprends complétement la jouissance que puisse faire ressentir la moto, la maîtrise de ce puissant moteur à explosion entre nos jambes et la griserie de la vitesse, autant, je ne comprends pas à quelle nature, à quel entourage nous nous connectons le crâne enserré dans un casque qui nous dévisage, entouré par le rugissement mécanique et les gaz d'échappement. Quelle liberté a-t-on à bord d'une machine qui, sans routes soigneusement asphaltées par des ouvriers du BTP et sans stations-services toutes les cinquantaines de kilomètres pour remplir son avidité de pétrole, devient largement inutilisable ? La seule liberté que je vois chez la motophilie de M. Louis Sarkozy, c'est celle de suivre ses pulsions de mâle formé dans une école militaire américaine, et comme l'observait déjà Rousseau, c'est là le plus primitif des esclavages.
Passons maintenant au véritable objet de cette critique, le roman de Maurice Leblanc. Je ne ferais pas l'affront de comparer le style doux et léger, tout en glissements subtils, en descriptions soyeuses de la bicyclette qui dévale une longue pente, avec les métaphores lourdes et convenues de Sarkozy fils. Dans voici des ailes, le vélo et la promenade dans la campagne normande transforme deux couples de bourgeois parisiens, les libèrent peu à peu des conventions rigides de leur monde. Cela commence avec trois fois rien : on ne s'appelle plus monsieur ou madame, mais Régine, Guillaume, Madeleine et Pascal. Et puis, chaque jour passé à pédaler les transforment au point qu'ils finissent par réaliser la vacuité de leurs mariages respectifs et par échanger de partenaire. Des quatre pourtant, il y en a un qui résiste, Pascal, pourtant le plus idéaliste et le plus vocal sur la liberté qu'offre la bicyclette. Amoureux de Madeleine, il refuse pourtant de laisse sa femme Régine avec Guillaume, se scandalise du peu de pudeur dont elle fait preuve (et là-dessus, Maurice Leblanc se lance dans des descriptions assez osées pour l'époque). Il se montre terriblement possessif, à la fois envers sa femme, mais surtout envers son amoureuse à laquelle il exprime sans détour sa volonté de la posséder, qui frôlera le viol. Heureusement, la patience de Madeleine finira par vaincre ce que je suis tenté de nommer la "masculinité toxique" de son nouveau compagnon. J'ai été extrêmement surpris par la hardiesse des prises de position de Maurice Leblanc sur l'union libre et le malheur terriblement évitable qu'engendre le virilisme et la volonté de possession encore trop souvent présente dans les relations hétérosexuelles.
Voici des ailes est donc une lecture à recommander à M. Louis Sarkozy, ainsi qu'un peu de cyclisme entre deux cavalcades à moto. Il y découvrira le vrai plaisir d'être plongé dans son environnement sans casque (et oui, moi aussi, j'aime jouer un peu avec la mort), sans armure de kevlar et sans concert de rugissement qui font fuir les animaux et réveille tout le voisinage, juste le chant sourd de la chaîne qui glisse et des pneus qui crissent. Il découvrira une liberté moins facile, dans laquelle il faut parfois lutter contre le vent et la montagne qui nous rappelle notre faiblesse, accepter de descendre de sa monture et de marcher à ses côtés sur des chemins trop accidentés et changer sa chambre à air de temps à autre, exercice nous rappelant que l'on reste toujours dépend du reste du monde. Ainsi, peut-être que le fils du président crachera sa cuillère dorée, se libérera du poids des mondanités et du monde des faux-semblants et renoncera à sa liberté de nuire pour toucher un peu du bonheur qu'il fait attendre.
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Créée
le 8 juin 2025
Modifiée
le 9 juin 2025
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La petite reine, catalyseur de la libération des mœurs. Les uns apprécieront les éloges de la bicyclette, les autres les tourments de la passion amoureuse.
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