Les deux nouvelles de ce recueil sont ma première lecture de Jaworski, que l'on m'a présenté comme le maître de la fantasy française alors que j'exprimai ma difficulté à trouver des bons écrits de fantasy qui ne sont pas des simples imitations maladroites de Tolkien ou Martin. Venant à peine de terminer le petit livre, et surtout la seconde nouvelle qui donne son titre, j'ai un avis paradoxal : je n'ai pas été déçu, mais un peu frustré, avec le sentiment que le potentiel du texte est sous-exploité.


La première nouvelle, Montefellо́ne aborde un thème très convenu pour de la Fantasy, nous mettant dans la peau d'un grand aristocrate, chef de guerre assiégeant une ville et sur les épaules duquel repose une décision stratégique difficile, capable de retourner l'issue du conflit dans un sens ou dans l'autre. Le texte est très George Martinesque. Il faut toutefois souligner que, contrairement à son homologue américain, Jaworski parvient à nous placer en quelques lignes dans tous les enjeux de la campagne militaire, sans que le lecteur ne connaisse rien des personnages et de l'univers, ce qui montre que le genre n'est pas réservé aux sagas qui n'en finissent pas. Des descriptions efficaces, une tension qui monte dans un crescendo parfaitement maîtrisé, des personnages bien caractérisés et une chute cruelle, remettant brutalement en question les fondamentaux du récit, parviennent à sublimer un texte qui m'avait au premier abord paru être une tarte à la crème du médiéval-fantastique.


La seconde nouvelle, Comment Blandin fut perdu, est bien plus original dans sa thématique : un peintre de fresques accepte de prendre un moinillon sous son aile, le fameux Blandin. Le peintre, découvre bien vite pourquoi la mère supérieure a insisté pour se débarrasser du jeune enlumineur malgré son immense talent. L'ancien novice est en effet obsédé par Alma, son amour de jeunesse, si bien qu'il la dessine absolument partout. Le thème original et un style excellent, qui parvient à inclure un lexique désuet (comme le terme de "pucelle" désignant Alma) sans qu'il ne paraisse forcé pour "faire médiéval". Ces quelques touches de vocabulaire ancien font au contraire tout le sel du texte, dispersé en petite pincée, il relève délicieusement l'atmosphère médiévale du récit. Les descriptions des fresques et des enluminures que les deux artistes réalisent sont très réussie également, j'ai vraiment eu l'impression de les avoir sous les yeux. On sent que l'auteur s'est bien documenté sur les techniques de peinture et l'histoire de l'art. Hélas, la chute de la nouvelle, que j'imaginai troublante et tragique, est brouillonne et décevante, faisant un appel à la magie qui règle l'histoire un peu "trop facilement", coupant court au sentiment de malaise provoqué.

De manière générale, l'univers dans lequel se passe la nouvelle ne lui fait pas justice. J'ai trouvé qu'il souffrait d'une des grandes tares de beaucoup d'univers : l'univers est peuplé de pseudo-italiens qui vivent dans des cités-états, d'un royaume pseudo-français, de mercenaires pseudo-anglais et de barbares pseudo-celtes. Bref, je trouve que beaucoup d'univers de fantasy fonctionne ainsi et c'est dommage, parce que c'est assez fainéant. C'est une façon de ne pas s'embêter avec les recherches que demande un roman historique tout en refusant de jouer complétement le jeu de la fantasy en créant un univers véritablement original dans lequel lecteur se trouve immergé, ressentant du dépaysement plutôt que de se reposer sur des clichés lus et relus.


Les deux nouvelles restent toutefois de très bonne facture, et je serais curieux de lire plus de Jarowski, en espérant que la Léomance devient plus charnue à fur et à mesure de ses textes.

Créée

le 21 févr. 2024

Modifiée

le 1 mars 2024

Critique lue 24 fois

2 j'aime

Critique lue 24 fois

2

D'autres avis sur Comment Blandin fut perdu

Comment Blandin fut perdu
Icomeforyou
9

Un autre chef d'oeuvre

Comment Blandin fut perdu est encore un chef d'oeuvre de Jean-Philippe Jaworski. Le livre contient deux récits de l'Ancien monde à la manière de Janua Vera. Le premier récit raconte la guerre de...

le 17 juin 2018

2 j'aime

Comment Blandin fut perdu
Valerie_Freefounette
9

Unique.

Jaworski a vraiment un style et un talent inimitable. Personne d'autre n'écrit comme il écrit.Avec des "mots d'époque", un vocabulaire d'une richesse inouïe (avec le pendant que forcément parfois, on...

le 13 juil. 2022

2 j'aime

1

Comment Blandin fut perdu
Le-Maitre-Archiviste
9

Récits du Vieux Royaume, ou comment Montefellone fut assiégé et comment Blandin fut perdu

La découverte de l'auteur français Jaworski commence avec ces deux nouvelles extraites du recueil "Récits du Vieux Royaume" et qui, grâce à leur longueur arrangeante, semble offrir une excellente...

le 27 juil. 2021

1 j'aime

Du même critique