« Walker » est un roman américain écrit par un Britannique et dont le personnage principal est un Canadien. Ce n’est pas la seule originalité du roman. « Walker » est également un poème de 250 pages entrecoupé d’extraits de journal intime et de photos en noir et blanc. Décidément un roman pas comme les autres. Pourtant, une fois refermé, on a le sentiment d’avoir lu un beau et peut-être un grand livre sur l’Amérique. Celle de l’après-guerre dans laquelle les écarts se creusent. Les discriminations s’identifient de plus en plus et de mieux en mieux pour un journaliste moralement ambitieux. C’est le cas de Walker, soldat démobilisé qui vient de terminer une guerre traumatisante pendant que la vie continuait à New-York et San Francisco, deux villes qu’il va scruter et tenter d’en comprendre la mutation. Mais ce parcours n’aura rien du guide touristique. Walker fuit les souvenirs d’une guerre qui lui a confisqué sa propre vie.
L’extrême pauvreté présente dans les villes américaines et la précarité sociale côtoient un monde parallèle où l’argent est roi. La pègre, la corruption, Hollywood, les films, les meurtres. Est-on certain de ne pas être dans un roman de James Ellroy ? Oui, le style est plus retenu, le regard plus empathique. Le cynisme n’est pas de même niveau. Mais la violence sociale ou gratuite et les comédiens minables sont là. Comme si ces éléments étaient les symboles de cette décennie. Et le racisme, variable d’ajustement pour maintenir des communautés en deçà de tout respect. On rase les maisons et on construit des « highways » stratosphériques. On essaie d’éradiquer la partie de la société que l’on ne souhaite plus, les noirs, les homosexuels, les perdants, ceux qui ne sont rien. Walker a la nausée, titube, mais avance, comme son nom l’indique. Walker avance. Comme Hemingway, Faulkner et Steinbeck ont avancé avec lui. Comme Ellroy, Scorsese ou Spike Lee avancent encore aujourd’hui. Le cinéma tient d’ailleurs une place importante dans ce parcours avec des rencontres étonnantes. Celle avec Fred Zinneman montre formidablement comment des non-américains auront le regard le plus juste sur l’Amérique, pays où malgré-tout (et le paradoxe et de taille) tout devient possible, y compris de devenir journaliste ou photographe sans formation et sans diplôme, mais avec un œil et un esprit affûtés.
Mais derrière Walker il y a Robin Robertson, poète et amoureux de la littérature et de l’Amérique. Ainsi « Walker » est un poème. La forme ne fait aucun doute et surprend pendant quelques pages. Le rythme également. Si de manière générale la poésie magnifie un thème et ses personnages, ici elle magnifie l’horreur d’un système idéologique pervers. On est bien évidemment proche de Dante. L’enfer de Walker est chanté avec une telle acuité que le mal qui ronge l’Amérique depuis sa création est subtilement éclairé comme les cercles du Florentin. Robin Robertson soigne autant la forme que le fond. L’agencement du poème, du journal et des photographies est parfait d’équilibre (comment ne pas y voir aussi un hommage à la démarche de photographes comme Dorothy Lange, Vivian Maïer et bien-sûr Walker Evans). Soyons donc rassurés, rien ne s’oppose dans la forme à ce que nous soyons happés et séduits en suivant le chemin parcouru par Walker. Décidément l’Amérique ne nous a pas encore tout montré.

SIMMARANO_JF
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le 28 août 2020

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