Double jeu

Si le titre d'un roman est souvent représentatif de ce qui suit, pourquoi donc lui donner basiquement le nom du héros ? Mais justement parce que ce nom est l'incarnation d'une identité fallacieuse qui est elle-même une histoire montée de toute pièce par un espion allemand pour tromper la société anglaise durant le dernier conflit mondial. Le ver est dans le fruit dit-on et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il s'y épanouie si parfaitement qu'il en deviendrait plus britannique qu'un sujet de sa majesté. Pas de révélations fracassantes ici, ni de courses poursuites artificielles. L'auteur à un extraordinaire talent d'écriture qui moi m'a ravi à chaque page de ce court roman. De la vraie littéraire pas du tout ennuyeuse. Le suspens est néanmoins présent par les chapitres mettant en scène le mystérieux "x" qui commande la cellule de contre espionnage. Mû par son seul instinct il flaire contre toute logique les faux semblants de son antagoniste. Une fascination presque irrationnelle et obsessionnelle : "voilà un sacré espion de cette race de bâtards, qui a fait davantage pour le Roi et l'Empire que le plus patriote de nos insulaires" (pocket page 213). Le talent de Pierre Boulle est d'amener le lecteur vers une compassion malsaine : notre héros eponyme se décrit, malgré le succès de sa mission d'infiltration, au fil des pages, dangereusement attiré par les attraits et les valeurs de la Perfide Albion. En dépit de son statut d'espion, Conrad est devenu sincérement ami avec Patton avec qui il entretien une correspondance à longue distance. L'anglais, qui combat le Reich nazi et ses alliés, lui conte son avancée en territoire ennemi (du front africain à l'extrême orient). Conrad perd sincérement pied à l'annonce de la mort de ce véritable héros de sa pseudo nation d'adoption : "on ne vit pas impunément pendant des mois au sein du paradoxe" (pocket page 203).
Le roman n'est certes pas parfait mais le sujet est si bien développé, le style de l'auteur si beau, que je ne peux que recommander. Pierre Boulle n'est clairement pas que l'auteur de La planète des singes.