Parler d’un évènement aussi tragique et récent que celui du 11 septembre 2001 demande toujours une certaine retenue distillée dans une forme de respect et de déférence. On aurait alors pu craindre de voir Frédéric Beigbeder, connu pour ses frasques mondaines et son arrogance sans-limite, venir saccager la mémoire d’un tel drame, en lui associant un livre-hommage qui en serait le parfait opposé. La tentation aurait été en effet grande, de se servir de ce drame pour écrire un pamphlet anti-patriotique/anti-redneck/anti-Bush, bref anti-américain, et sa réputation sulfureuse d’écrivain borderline n’en aurait alors été plus assise.


Ainsi donc, plus grande aura été mon agréable surprise de découvrir un livre, certes dans le pur style Beigbedien (je le vois déjà être tout émoustillé d’avoir son propre adjectif), mais qui fourmille de bonnes idées de et bonnes intentions.


Le livre choisit en effet de se découper en deux parties distinctes, qui ne cessent de se mélanger et de se répondre par chapitres. La première partie est purement fictionnelle, puisqu’elle s’emploie à relater les dernières heures d’un père de famille et de ses deux garçons, piégé au sein de la première tour touchée du World Trade Center (Tour 1 du World Trade Center qui, ironie de la chose, s’effondrera en second). L’immersion est totale, Beigbeder fait sien le point de vue d’un américain qui ne cesse de se remettre en question au fur et à mesure que les minutes s’égrènent, le rapprochant lui et les 2976 autres futures victimes de ces attentats, de la mort. Le récit, sans tomber dans un certain sentimentalisme, est sans concessions : le père n’est pas un héros mais un simple homme aussi perdu que ses enfants qui attendent d’être sauvés, comme dans les films. On ressent l’espoir qui s’amenuise peu à peu pour les centaines de personnes coincées entre quatre murs d’acier qui menacent de s’effondrer à tout instant, leur difficulté de respirer dans une telle fournaise, la douleur et l’impuissance face à cette tragédie humaine en train de se dérouler sous leur yeux, eux personnes si passives qui ne peuvent lutter pour l’issue de leur destin. Comme dans toute tragédie grecque qui se respecte, la fin du dernier acte est déjà connu, tout espoir est vain, la messe est dite. La Tour 1 du World Trade Center s’écroule 102 minutes après avoir été frappée en son sein.


"La tragédie de la mort est en ceci qu'elle transforme la vie en destin" - André Malraux.


La deuxième partie du roman vient faire écho à la fiction, puisque Beigbeder choisit de nous faire une certaine autobiographie de sa vie, toujours en partant du prisme de ce fameux mardi 11 septembre 2001. Exercice périlleux, tant l’intérêt de cette mise en parallèle semble superflue et sans intérêt aux premiers abords. Cependant, en conservant ce style si particulier hérité de ses années d’agissements dans le milieu publicitaire, qui lui vaut d’assener des aphorismes toutes les quatre lignes (et qui font quasiment toujours leur effet), l’auteur s’évertue à trouver des points communs et des divergences entre la tragédie américaine et la tragédie de sa vie. Portant sur sa propre personne un regard assez acerbe et finalement salvateur pour qu’on ne le soupçonne pas d’avoir des tendances ultra-narcissiques, le parallèle est assez intéressant et regorge d’anecdotes plus ou moins captivantes. L’ensemble fonctionne plutôt bien, le roi de la formule s’en tirant avec les honneurs.


En définitive, Windows on the world est un livre éclairant et bienvenu. Sans rendre un hommage vibrant avec un sens de la démesure à l’américaine si puritaine, le point de vue d’un écrivain français aphorique (et euphorique) permet de dématérialiser l’image sacrée qu’a acquis ce jour si particulier de septembre 2001, et qui a conditionné l’Histoire. Les répercussions dans notre société actuelle n’en sont que plus marquées, et au-delà d’un devoir de mémoire rappelant des temps immémoriaux, c’est avant tout un devoir de souvenir qui nous incombe, pour que la barbarie humaine, quel côté qu’elle soit, cesse enfin.

Thibaulte
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le 8 juil. 2015

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