A Faust, Faust et demi par Leo_Mance

L'histoire est potache. Faust doit participer à un concours qui décidera de la destinée de l'humanité pendant mille ans. Il sera propulsé par le démon Mephistopheles à divers époques à des moments charniers, ses actions pour faire le mal ou le bien seront ensuite jugés par une divinité neutre. Pas de chance il est assommé dans une sombre ruelle par un brigand, Mack qui à la suite d'un quiproquo ou il est pris pour Faust à accomplir l'épreuve à sa place. On se marre bien et la brute se révèle attachante et pas si bête. Le roman finit par une touche philosophique.

Ca sera un peu long mais je crois que ça vaut le coup:

Mack mit un genou en terre et dit "Salut, Dieu". Le vieillard l'aide à se relever et répondit:

"Non, ne vous agenouillez pas devant moi. Je ne suis pas Dieu. Malheureusement. Il est occupé ailleurs, en ce moment. Croyez Le qu'Il le regrette. C'est pour cela qu'il m'a dépêché, moi Son fidèle serviteur pour vous annoncer Sa décision de vous déclarer vainqueur du concours.

-Moi? s'étrangla Mack. Mais qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça?

-Je n'ai pas très bien saisi les détails, avoua le vieillard. Et de toute façon vous n'y êtes pas pour grand chose. La décision a été prise de remettre les rênes de l'humanité aux fripouilles ordinaires et aux gens qui ne sont pas meilleurs qu'ils ne le paraissent. L'ère de l'homme ordinaire est arrivé. Les démarches simples et désintéressées que vous avez entreprises pour votre propre bien, mais en espérant qu'elles serviraient également des objectifs plus nobles vous ont valu la victoire - car il y avait plus de conviction dans ce soupçon d'idéalisme élémentaire que dans tous les autres grands concepts alambiqués."

Mack était abasourdi "Moi? Diriger l'humanité? Non c'est impossible. Franchement, ça serait blasphématoire".

- Dieu existe dans le blasphème et Satan dans la piété...

-Ecoutez, je crois vraiment qu'il faut que j'en discute directement avec Dieu en personne.

- Si seulement c'était possible! soupira tristement le vieillard. Personne ne peut voir le Seul Dieu, ni Lui parler...Par même ici, dans les Cieux Nous l'avons cherché partout et on dirait qu'Il n'est pas la. Il semblerait qu'il se soit absenté. Il y en a même qui prétendent qu'Il n'a jamais existé et naturellement nous n'avons même pas de photo pour prouver le contraire. Mais nos légendes racontent qu'il fut un temps ou les anges lui rendaient souvent visite et ressortaient de chez Lui tout revigorés. Il avait l'habitude de dire que le Paradis et l'Enfer se trouvaient dans les petits détails, paraît il. Personne ne comprenait ça. Il leur disait: "Sur la terre comme au Ciel". Nul ne comprenait non plus, jusqu'à ce que des bidonvilles apparaissent dans les Cieux, puis le crime.

-Le crime au Paradis? Je ne peux y croire!

- Vous serez surpris de ce qui se passe ici. Ca a commencé quand Il a soudainement déclaré à qui voulait l'entendre qu'Il n'était pas Dieu, pas le Dieu, le grand, l'unique, l'omnitout. Il ne faisait que remplacer Dieu car Dieu avait autre chose à faire. Mais tout le monde se demandait ce que cela pouvait bien être. Certains le soupçonnaient de vouloir tout recommencer dans un autre espace temps. Tout le monde était d'accord pour dire que les derniers temps Il n'était pas l'air trop au mieux. Il avait l'air deçu de la tournure qu'avait prise son univers - mais, bien sûr, étant un véritable gentleman, Il n'en avait jamais soufflé mot.

Mack regarda fixement le vieillard à la barbe blanche.

"Vous êtes Dieu, n'est ce pas?

-Eh bien, disons...dans un certain sens oui. Pourquoi?

-Oh, rien.

- Vous êtes deçu, avouez le. Vous vous attendiez à Quelqu'un d'autre.

-Non, non pas du tout.

-Je peux lire dans vos pensées Mack. N'oubliez pas que je suis omniscient. C'est l'une de mes qualités.

-Je sais, et omnipotent également.

-Ah oui, ça! Mais c'est un pouvoir qu'il vaut mieux ménager. La véritable tâche de Dieu est de résister à sa propre omniscience, et de refuser de se laisser lier par elle.

-Lié par l'omnipotence? Comment cela serait-ce possible?

- L'omnipotence est un lourd fardeau quand elle est associée à l'omniscience et à la compassion. C'est tellement tentant d'intervenir pour faire plaisir, pour redresser un tord par-ci, un tord par-la.

-Et qu'est ce qui vous empêche de le faire?

-Si je mettais mon omnipotence au service de mon omniscience, il en résulterait un univers mécanique. Il n'y aurait plus de libre arbitre. Plus personne ne subirait les conséquences de ses actes. Il faudrait que je sois toujours la pour veiller à ce que l'oisillon ne tombe pas du nid, que le chauffard ne meure pas dans un carambolage, que la gazelle ne soit pas dévorée par un léopard, qu'aucun être ne souffre de la faim, de la misère, du froid, que personne ne meure avant son heure et pendant qu'on y est, que plus personne ne meurt du tout.

- Ca a l'air séduisant.

- C'est parce que vous n'y avez pas réflechi. Imaginez que tout ce qui a jamais été crée se mette à vivre éternellement. Tous avec leurs prétentions, leurs priorités, leurs désirs à satisfaire! Et naturellement, il faudrait aussi changer la nature des choses. Si le léopard ne peut plus manger la gazelle, il faut lui trouver une autre nourriture. En faire un végétarien? Mais qui a dit que les plantes n'avaient pas de conscience. Vous saissiez les implications? Il faudrait que je sois partout à la fois, que j'intervienne constamment. Et si je me chargais de tous les aspects importants- c'est à dire de tout finalement- la vie des gens deviandraient mortellement ennuyeuse.

- Je vois que Vous avez de quoi Vous occuper l'esprit, déclara Mack. Mais d'un autre coté, le fait d'être omniscient doit aider.

-Mon omniscience m'ordonne de tempérer mon omnipotence.

- Et le Bien et le Mal, dans tout ça?

- Quand je les aient crées, je ne doutais pas qu'ils soient absolument essentiels, bien entendu, je ne suis pas stupide, mais j'ai toujours eu du mal à les différencier vraiment. Tout ça était très compliqué. J'avais délibérément projeté cette image très prosaïque de moi-même. Même si je suis Dieu, le seul, l'unique et l'omnitout, j'avais quand même le droit d'être humble non? Et le droit de me donner une raison d'être humble. J'ai refusé d'user de mon omnipotence et de mon omniscience. J'estimais que vouloir que Dieu soit toujours juste et bon était trop restrictif. Cela me paraissait trop partisan, trop univoque, d'être toujours du coté du Bien. De toute façon, comme à l'époque, j'étais encore omniscient, je savais qu'au fond le Bien et le Mal étaient complémentaire, égaux. Non pas que cela résolve quoi que ce soit, attention. Mais je refusais de me laisser limiter. Le problème de tout savoir, c'est qu'on n'apprend plus rien. Je préférais continuer à apprendre. Peut-être connaissais-je, au fond de moi, la raison secrète derrière toute chose. Je ne me suis jamais laisssé la deviner. J'ai déclaré que Dieu Lui-même avait droit à Son petit jardin secret, qu'Il se le cacherait à Lui-même et qu'il avait le droit et même le devoir de ne pas tout savoir.

-Mais quels enseignements suis-je censé tirer de tout ça?

- Que vous êtes aussi libre que moi, mon fils. Ce n'est peut-être pas grand chose, mais c'est toujours ça, non?