Avec des références comme L'Exorciste et Rosemary's Baby, on nous promet un nouveau classique de l'horreur. Si je le considère plutôt comme un thriller terrifiant, Possession réunit tous les ingrédients pour plaire aux passionnés du genre horrifique. Avec un élément « nouveau » puisque cette histoire de possession est en partie perçue à travers le prisme de la télé-réalité.


À première vue, le pitch n'est pas très original. Un cadre typique avec sa banlieue américaine tranquille et une famille de quatre individus. Les Barrett menaient une vie ordinaire jusqu'au jour où leur fille de 14 ans, Marjorie, qui se dit « possédée par des idées », traverse une crise psychotique et commence à manifester les symptômes de la schizophrénie. Face à la multiplication d'événements angoissants, la famille décide de faire appel à un prêtre qui leur propose de réaliser un exorcisme. Dans un contexte financier difficile, elle accepte l'offre d'une chaîne de télévision qui suivra la guérison de Marjorie en direct. Malgré un succès fulgurant, l'émission s'arrête du jour au lendemain, laissant les spectateurs sans explications.


Une intrigue qui réunit tous les éléments qui fonctionnent en ce moment (et qui rappelle la saison 6 de American Horror Story intitulée « Roanoke »). Ce qui m'a le plus plu dans ce roman, c'est le choix du narrateur. Plutôt que de nous relater l'histoire d'un point de vue externe, ou bien encore de celui des parents ou de l'équipe de télévision, Paul Tremblay a fait un choix assez judicieux : celui de nous relater les événements au travers des yeux de la petite sœur de Marjorie, Merry, âgée de seulement 8 ans à l'époque des faits. Le roman débute d'ailleurs avec la rencontre entre Merry, alors âgée d'une vingtaine d'années, et une auteure à succès : lors de nombreux entretiens, toutes deux vont revenir sur l'histoire familiale tragique de l'héroïne. Toute la première partie du roman est d'autant plus angoissante, car celle-ci nous partage alors les souvenirs de cet événement traumatique sous la forme d'une « confession enfantine » : sa relation fusionnelle avec sa sœur et l'amour qu'elle lui porte, les premiers jeux malsains annonciateurs d'un drame, la famille dysfonctionnelle dont ses parents qui sont totalement dépassés par les événements. J'ai d'ailleurs beaucoup apprécié la touchante Merry, personnage dont les réactions sont très réalistes et crédibles tant sa psychologie est fidèle à celle d'une enfant de son âge. Quoi de plus angoissant qu'une histoire de monstres pour un enfant, si ce n'est quand cette dernière devient réelle.


Paul Tremblay nous offre un récit addictif qui a le mérite de nous rendre fébriles dès les premières pages. Très vite, le parallèle avec L'Exorciste est justifié puisque l'auteur n'hésite pas à jouer avec les clichés que l'on retrouve dans de nombreux récits/films d'horreur : avec le cadre dans lequel se déroulent les événements et qui semble ordinaire, mais où la famille est en réalité dysfonctionnelle (père au chômage, mère portée sur la bouteille) ; mais aussi lors des scènes de possession, avec sa part de vomis, contorsions, de gestes/paroles obscènes et de gloussements hystériques. Les chapitres s'enchaînent, la tension s'installe et l'ambiance pesante témoigne de l'habileté de l'écrivain dans le genre horrifique. Mais derrière sa plume très agréable et ses effets de surprise, l'auteur se démarque dans la trame machiavélique qu'il a construite : l'ambiguïté de la narration nous perd un peu plus et l'on porte très vite des soupçons sur l'ensemble des personnages dont les âmes sont mises à nues. Difficile pour certain de deviner la fin tant il joue avec nos nerfs ! D'autant qu'en construisant un univers horrifique qui va basculer à la moitié du roman vers le thriller, Paul Tremblay déconstruit les clichés et utilise la pop culture et la télé-réalité afin de porter un regard critique sur les médias et sur notre comportement de voyeur (ou tout au moins un début de réflexion). Toutes ses critiques passent par l'intermédiaire d'un autre personnage du roman, Karen Brissette, dont les interventions se font à travers le blog qu'elle tient, intitulé « La dernière Survivante » : elle y dresse une analyse complète de l'émission « Possession », la comparant à des œuvres cultes (telles que L'Exorciste bien sûr, mais aussi d'autres films d'horreur).



Pour le concert de cris de Marjorie, la caméra bringuebalante qui poursuit Merry dans le couloir, et Marjorie en train d'escalader le mur, voyez Le Dernier Exorcisme. Mais ne regardez pas la fin, elle est vraiment trop conne. [...] Bon, allez, la scène de masturbation reconstituée. [Inspiration profonde.] Dans L'Exorciste, elle représente le summum du blasphème et la preuve formelle que la gamine est possédée par un esprit maléfique, pas vrai ? Une jolie petite fille innocente (en chemise de nuit bien sage, soit dit en passant) se met à débiter un torrent d'obscénités digne d'un Louis C.K. atteint du syndrome Gilles de la Tourette et s'enfonce Jésus-Christ dans le vagin avec une telle violence qu'elle met du sang partout.



Des passages parfois drôles, justes et souvent très cyniques qui permettent de s'éloigner de la violence brutale du récit de Merry, devenant simple fiction dans la bouche de Karen. Si la télé-réalité n'est pas épargnée grâce aux descriptions du tournage (entre mise en scène et montage), c'est surtout la position du spectateur/voyeur qui est critiquée.



Vous croyez malgré vous, et même si ça se limite à ce moment-là, que Marjorie est possédée par je ne sais quelle entité surnaturelle. Vous y croyez parce que c'est plus commode pour vous que d'affronter l'idée que vous venez juste de regarder avec plaisir une adolescente malade et perturbée.



Je ne sais pas si l'on tient là le nouveau Stephen King (les éditeurs n'hésitent pas à l'affirmer), mais si vous êtes un amateur de frissons qui prend son pied avec les histoires de possession et les drames familiaux, n'hésitez plus ! À noter que les droits d’adaptation cinématographique ont déjà été achetés par Robert Downey Jr. Affaire à suivre...


PS : Le fameux air chantonné par Marjorie / Repris par Billie Holiday

BillyMay
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le 20 avr. 2018

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